Des vers qui sécrètent une dangereuse toxine paralysante progressent à Montréal

MONTRÉAL — Une vingtaine de vers plats à tête de marteau ont été observés à Westmount. Cette espèce envahissante venue d’Asie sécrète une dangereuse toxine paralysante et elle est de plus en plus présente en Amérique du Nord.

Lisa Osterland, une enseignante à la retraite, a découvert une vingtaine de vers plats à tête de marteau (bipalium) dans son jardin de Westmount, une municipalité située sur l’île de Montréal.

C’est en enlevant des limaces, qui mangeaient les fleurs de son jardin, qu’elle a remarqué, en début de semaine, une sorte d’invertébré qu’elle n’avait encore jamais vue.

Quelques jours plus tard, elle est tombée sur un reportage de la chaîne américaine CNN qui racontait que les vers plats à tête de marteau se propageaient désormais dans l’État de New York.

«La forme du ver était la même que ce que j’avais vu» dans le jardin, alors «j’ai tout de suite compris ce que c’était», a raconté la femme à La Presse Canadienne.

La retraitée a expliqué avoir passé beaucoup de temps à ramasser les vers pendant la nuit, car ils semblent être plus actifs la nuit que le jour, pour ensuite les remettre à une équipe d’entomologistes de l’Université de Montréal.

«Elle nous a donné une vingtaine de spécimens», a indiqué l’entomologiste Étienne Normandin.

«Il y a une règle, que l’on se dit entre biologistes, qui est que lorsqu’on trouve un spécimen d’espèce envahissante, on peut multiplier par 100 pour estimer la population, donc là, on est rendu à peu près à une quarantaine de spécimens observés dans les dernières années au Québec, sinon plus. Donc on peut estimer que la population du verre plat à tête de marteau est en bonne santé.»

Dans les dernières années, quelques occurrences de vers plats à tête de marteau ont été signalées à Gatineau et Montréal, mais c’est la première fois qu’autant d’individus, une vingtaine, sont signalés au Québec.

Une toxine paralysante

Leur prolifération inquiète, notamment parce que ce ver sécrète une toxine paralysante, la tétrodotoxine.

«C’est une des molécules les plus puissantes dans le monde biologique, c’est la même molécule qui est produite par les « puffer-fishs » (poissons-globes)», a indiqué Étienne Normandin.

«Si un enfant en bas âge met de la terre dans sa bouche et ingère un ver plat ou deux ou plusieurs, il faut s’attendre à ce qu’il y ait un vrai risque de dommage. Si on l’ingère, c’est une toxine qui va d’abord attaquer la région péri orale, donc le visage, la langue et tout au niveau de l’œsophage» et «dans un tel cas, il faut hospitaliser l’enfant très rapidement», a ajouté l’entomologiste.

Les vers plats à tête de marteau représentent également un danger pour les oiseaux, les chiens et les autres bêtes qui ont l’habitude de fréquenter les jardins.

Une menace pour la biodiversité des sols

L’arrivée d’un prédateur comme le ver plat à tête de marteau menace également la biodiversité des sols.

Étienne Normandin a expliqué que cette espèce envahissante, puisqu’elle est nouvelle sur le territoire, n’a pas de prédateur, et elle s’en prend «aux limaces, aux escargots et aux mille-pattes qui offrent un service très important, qui est le recyclage des matières organiques». Le ver peut donc changer cet équilibre et altérer les écosystèmes.

«En France, ce type de ver a causé des impacts négatifs sur les communautés d’invertébrés des sols. On constate tranquillement les effets à long terme de ça, donc on peut s’attendre à avoir des dommages similaires sur notre faune de sol au fil des années», a ajouté le biologiste.

Une espèce venue d’Asie

Le ver envahissant est originaire de l’Asie et il a probablement été transporté en Amérique du Nord en voyageant dans des bateaux de marchandise.

«L’hypothèse la plus probable est le transport de plantes depuis l’étranger», a souligné Étienne Normandin.

«Souvent, on le retrouve dans les quartiers bien nantis», comme Westmount, «car dans ces quartiers, on a souvent beaucoup de paysagements, on a des espèces exotiques de plantes qui sont belles» et qui sont importées de pays lointains.

Le ver plat à tête de marteau a été observé une première fois à Montréal en 2018, par un membre de l’équipe d’entomologistes de l’Université de Montréal, «mais il était probablement déjà établi dans les quartiers autour du mont Royal», selon Étienne Normandin.

Changement climatique

Selon Environnement et Changement climatique Canada, les espèces exotiques envahissantes peuvent coûter des milliards de dollars chaque année à l’économie mondiale, en raison des répercussions négatives sur la productivité forestière, l’agriculture, la pêche et les coûts des mesures de contrôle, notamment.

Les espèces envahissantes «représentent une nouvelle menace pour les écosystèmes nordiques du Canada au fur et à mesure que le climat se réchauffe et que les espèces normalement intolérantes aux conditions climatiques actuelles du Nord élargissent leur aire de répartition», peut-on lire sur le site d’Environnement et Changement climatique Canada.

Traditionnellement, lorsqu’une espèce invasive arrive d’Asie, «l’hiver québécois va la tuer», mais «maintenant on est ailleurs, les moyennes de température l’hiver et l’été sont plus hautes», a souligné Étienne Normandin, en expliquant que les changements climatiques «offrent à une espèce comme le ver plat à tête de marteau une chance supplémentaire de se développer».

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, le ministère de l’Environnement du Québec a indiqué qu’à «l’heure actuelle, le ministère ne fait pas le suivi de cette espèce. Son potentiel de s’établir de façon durable au Québec et les impacts qu’elle pourrait avoir n’ont pas été évalués».