Des sénatrices affirment avoir été intimidées par leurs collègues

OTTAWA — Deux membres du Groupe des sénateurs indépendants affirment que la police locale et l’équipe de sécurité du Sénat ont ouvert une enquête au sujet de menaces qui ont forcé l’une d’elles à passer la fin de semaine dernière dans un endroit sécurisé.

Cette situation s’inscrit dans le cadre des débats au Sénat concernant le projet de loi C-234, qui vise à exempter certains carburants utilisés par les agriculteurs de la tarification fédérale sur le carbone.

Mardi, la sénatrice du Québec Raymonde Saint-Germain a soulevé une question de privilège pour signaler que sa collègue de l’Ontario Bernadette Clement et elle avaient été intimidées physiquement et verbalement en chambre par d’autres sénateurs le 9 novembre dernier.

Selon Mme Saint-Germain, certains sénateurs n’auraient pas aimé que Mme Clement fasse ajourner le débat sur le projet de loi C-234, au lieu de l’adopter rapidement.

«Après avoir violemment lancé son oreillette, le leader de l’opposition (le sénateur Don Plett) s’est tenu devant la sénatrice Clement et moi, qui étions assises à notre place, en criant et en nous reprochant d’avoir proposé cette motion d’affaire courante qui aurait permis la reprise du débat la semaine suivante, à notre retour», a raconté Mme Saint-Germain lors de sa question de privilège.

«Une attitude aussi agressive à l’égard d’une pratique courante visant à prolonger le débat — et couramment utilisée par l’opposition, soit dit en passant — a illustré l’intense pression visant à adopter ce projet de loi ce jour-là et a porté atteinte au droit des sénateurs de faire adéquatement leur travail», à son avis.

En plus de l’incident en chambre, la situation se serait transportée sur les réseaux sociaux, lorsque des sénateurs conservateurs auraient relayé une image ayant l’apparence d’un avis de recherche pour demander aux gens d’appeler et «harceler» Mme Clement et Chantal Petitclerc, une autre sénatrice, pour leur demander pourquoi elles voulaient limiter les débats sur le projet de loi.

Selon Mme Saint-Germain, cette situation est déplorable.

«Je crois que c’est un signal d’alarme pour notre démocratie», a-t-elle avancé mercredi lors d’une entrevue avec La Presse Canadienne.

Suivre le protocole

Mme Clement, quant à elle, a révélé qu’un homme très en colère l’a appelée à son bureau et l’a menacée de se rendre chez elle à Cornwall, en Ontario. Après des discussions avec le Service de protection parlementaire et la police de Cornwall, la sénatrice a choisi de ne pas rester chez elle et d’aller passer la fin de semaine dans un endroit sécurisé.

«En général, j’ai l’impression d’être en sécurité chez moi. Mais là, ils m’ont dit que je ne l’étais pas», a expliqué la sénatrice, ajoutant que les deux corps policiers lui avaient rappelé l’importance de suivre le protocole.

Elle s’est donc rendue à son appartement du centre-ville d’Ottawa, qu’elle utilise pendant les séances du Sénat, où elle dispose de son propre système de sécurité. La police lui a aussi suggéré de garder son bouton panique, fourni par le Parlement, à proximité.

Chad Maxwell, qui est inspecteur des opérations sur le terrain au Service de police de Cornwall, a confirmé mercredi qu’une enquête a été ouverte dans ce dossier.

«Le Service de police de Cornwall est au courant de la situation actuelle concernant la sénatrice Bernadette Clement et est en communication avec le Service de protection parlementaire», a indiqué M. Maxwell.

«Ces menaces et ce harcèlement en ligne sont inacceptables et sont pris très au sérieux par la police.»

Un projet de loi qui soulève les passions

Le projet de loi d’initiative parlementaire proposé par un député conservateur appelle à retirer le gaz naturel et le propane qui sont utilisés par les agriculteurs pour chauffer leurs bâtiments ou faire fonctionner leurs séchoirs à grains de la tarification sur le carbone.

Depuis son adoption à la Chambre des communes, l’an dernier, les sénateurs conservateurs mettent beaucoup de pression pour qu’il reçoive l’approbation rapide de la Chambre haute.

Il reste une étape de débat avant qu’un vote final au Sénat puisse le faire adopter.

Le projet de loi a reçu peu d’attention à ses débuts, mais a fait l’objet d’un examen plus approfondi ces dernières semaines, en particulier depuis que les libéraux ont décidé d’exempter le mazout domestique de la tarification sur le carbone pendant trois ans.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a donc lancé un effort à grande échelle pour faire adopter le projet de loi C-234 dans le cadre de sa campagne visant à éliminer complètement la taxe sur le carbone. Il a accusé les libéraux d’essayer d’empêcher l’approbation du projet de loi au Sénat.

Avant que la question de privilège ne soit soulevée, mardi, le sénateur Plett, qui dirige le caucus conservateur au Sénat, est revenu sur son rôle dans ce débat houleux.

«Personne ne se réjouit de ce qui s’est passé ce jeudi-là, et chacun a ses raisons», a-t-il mentionné.

«Je n’aime pas qu’on me traite d’intimidateur. Je n’aime pas non plus agir en intimidateur, mais je suis quelqu’un de passionné. Je suis passionné et déterminé à défendre les causes auxquelles je tiens. Jamais je ne m’en excuserai. Je me battrai férocement pour défendre ces causes et mon parti, mais je veux le faire dans le respect, chers collègues, et si je ne l’ai pas fait lors de notre dernière séance, ce n’était pas acceptable.»

Plusieurs sénateurs se sont prononcés en faveur des sénatrices Saint-Germain et Clement, reconnaissant que le comportement dont ils ont été témoins était inacceptable.