Des organismes humanitaires sont toujours freinés par Ottawa en Afghanistan

OTTAWA — Des organismes humanitaires canadiens affirment qu’Ottawa n’a toujours pas levé les obstacles qui les empêchent d’acheminer de l’aide vers l’Afghanistan, malgré l’adoption d’une loi par le Parlement ce printemps et les dérogations accordées par les alliés à leurs propres lois sur le terrorisme — il y a près de deux ans.

Jusqu’en juin dernier, les travailleurs humanitaires risquaient d’être poursuivis en vertu du Code criminel s’ils payaient au gouvernement taliban des impôts sur leur travail ou sur des biens, car cela reviendrait en fait à fournir un soutien financier à une entité que le Canada considère comme «terroriste».

Le Parlement a adopté en juin le projet de loi C-41, qui vise à décréter une exemption générale pour les travailleurs humanitaires fournissant une aide vitale en réponse à des crises. La nouvelle loi exige par ailleurs qu’Ottawa mette en place un processus d’autorisation qui permettra aux travailleurs humanitaires, comme ceux qui construisent des écoles, de demander une exemption aux lois sur le terrorisme.

Dans leur budget d’avril dernier, les libéraux ont réservé 5 millions $ pour cet exercice financier afin d’examiner de telles demandes d’exemption, puis 11 millions $ supplémentaires l’année suivante. Pourtant, Ottawa n’a toujours pas d’échéancier pour lancer le processus de permis. Et certains organismes humanitaires affirment que l’exemption générale n’est pas suffisante pour qu’ils puissent fournir une aide d’urgence en Afghanistan.

Le directeur des politiques de Vision mondiale Canada, Martin Fischer, se dit «frustré et déconcerté» par la lenteur du processus à Ottawa. «Nous avons été en contact avec Affaires mondiales et la Sécurité publique à plusieurs reprises pour dire que ce régime doit être mis en place de toute urgence», a-t-il déploré.

Dans un récent témoignage au comité sénatorial des affaires étrangères, le directeur au Canada de l’organisation caritative «Islamic Relief» a soutenu qu’il existait une confusion généralisée quant au fonctionnement de la nouvelle loi. «Ça ne va pas assez vite», a déclaré Usama Khan aux sénateurs fin octobre.

«J’ai entendu directement certaines agences humanitaires dire que c’était toujours le statu quo, à savoir l’impossibilité de fournir de l’aide parce qu’il n’y avait pas de clarté sur ce qui était autorisé.»

Divergences sur les types d’aide 

M. Khan a raconté que différents ministères donnaient des informations contradictoires sur ce qui constitue de l’«aide humanitaire» ou de l’«aide au développement», puisque cette dernière nécessite un permis.

M. Fischer soutient que des fonctionnaires l’ont consulté sur la même question, qu’il trouvait confuse étant donné qu’Affaires mondiales Canada avait depuis longtemps des définitions qui distinguent quelles initiatives sont considérées comme des projets humanitaires qui «réagissent» à un événement et lesquelles sont des travaux de «développement», sur le plus long terme.

«Il est difficile de comprendre pourquoi l’appareil gouvernemental a du mal à mettre en place ce qui devrait être au fond un processus bureaucratique assez simple», a estimé M. Fischer.

Il a néanmoins souligné que l’exemption humanitaire entrée en vigueur immédiatement en juin avait fonctionné pour certains projets. Ainsi, Vision mondiale Canada a pu poursuivre son travail en matière de santé et de nutrition en Afghanistan, même si l’organisme ne peut toujours pas, sans permis, faire progresser les droits des femmes.

Au ministère de la Sécurité publique, on ne fournit aucune précision pour expliquer le retard, ni sur le moment où les organismes pourront demander des permis pour des travaux de «développement».

«Les travaux de mise en place du régime d’autorisation sont en cours, a indiqué le porte-parole Louis-Carl Brissette-Lesage dans une déclaration écrite. Les ministères et organismes gouvernementaux travaillent avec diligence pour pouvoir commencer à accepter et à traiter les demandes.»

Risques sur le terrain

Par ailleurs, MM. Khan et Fischer ont tous deux déclaré que les organismes de bienfaisance ne savent pas exactement comment seront traitées les informations qu’ils fournissent à Ottawa concernant les projets en cours en Afghanistan.

Les ONG ne savent pas exactement comment le gouvernement protégera les renseignements personnels des Canadiens et des employés locaux qui travaillent sur des projets en Afghanistan — des informations qui pourraient les mettre en danger ou attirer l’attention des talibans. «Ce n’est pas clarifié dans la loi elle-même. Les directives (ministérielles) doivent le clarifier», a estimé M. Fischer.

Il rappelle enfin que la loi prévoit un examen obligatoire, qui aura lieu en juin prochain. Or, il craint que si le système commence à fonctionner très tard, les ONG n’auront pas eu suffisamment d’expérience dans l’utilisation de la loi pour suggérer comment la réformer.

Des députés avaient demandé pour la première fois en juin 2022 que le problème soit résolu. Ils rappelaient alors que les États-Unis, l’Australie et plusieurs pays européens avaient déjà trouvé des moyens permettant aux travailleurs humanitaires d’aider les populations en Afghanistan sans être menacés de poursuites criminelles liées au terrorisme.

Les Nations unies ont déterminé que les deux tiers de la population du pays avaient besoin d’une aide humanitaire. «L’Afghanistan est confronté à une crise humanitaire sans précédent avec un risque sérieux d’effondrement systémique et de catastrophe humaine», peut-on lire dans la dernière mise à jour de la principale agence humanitaire de l’ONU.

Le pays est en proie à un déclin économique, à la malnutrition, à des chocs inflationnistes mondiaux, à un système de santé chancelant et à des catastrophes naturelles — notamment des tremblements de terre en octobre.