Cour suprême : l’utilisation du condom peut être une condition du consentement

OTTAWA — La Cour suprême du Canada a déclaré que les relations sexuelles avec condom sont un acte physique différent des relations sexuelles sans condom, et que l’utilisation d’un condom peut être une condition de consentement en vertu de la loi sur les agressions sexuelles.

Dans une décision rendue à 5 contre 4 vendredi, la Cour suprême a statué que si le partenaire ignore la condition d’utilisation d’un condom, le rapport sexuel n’est pas consensuel et l’autonomie et l’égalité d’action sexuelle du plaignant ont été violées.

«Lorsqu’une plaignante dit : “non, pas sans condom”, notre droit en matière de consentement affirme haut et fort que cela veut réellement dire “non”, et ne saurait être réinterprété pour devenir “oui, sans condom”», indique la décision. 

Le tribunal a ordonné un nouveau procès dans une affaire jugée en Colombie-Britannique dans laquelle une plaignante a dit à un nouveau partenaire sexuel, Ross McKenzie Kirkpatrick, qu’elle n’aurait des relations sexuelles avec lui que s’il portait un condom.

Le fait que M. Kirkpatrick ait utilisé un condom la première fois qu’ils ont eu des relations sexuelles a conduit la plaignante à supposer qu’il en portait déjà un lorsqu’il a commencé à avoir des relations sexuelles pour la deuxième fois, a-t-elle témoigné au tribunal — mais ce n’était pas le cas, ce qu’elle a dit ne pas réaliser jusqu’à ce qu’il éjacule.

Une accusation d’agression sexuelle contre M. Kirkpatrick a été rejetée par un juge qui a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour procéder à un procès.

En appliquant le test en deux parties existant pour déterminer si le consentement a été violé dans les affaires d’agression sexuelle, le juge a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la plaignante n’avait pas consenti à «l’activité sexuelle» en question, le rapport sexuel lui-même, ni qu’il n’y avait aucune preuve que le défendeur ait été explicitement trompeur, ce qui aurait ébranlé le consentement.

Bien que les motifs de sa décision soient partagés, la Cour suprême s’accorde à l’unanimité avec la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique selon laquelle le juge de première instance a commis une erreur en concluant à l’absence de preuve. 

Le juge s’était appuyé sur une décision de la Cour suprême de 2014, R. c. Hutchinson, qui concernait l’utilisation de condoms délibérément sabotés.

Dans cette affaire, l’accusé, Craig Hutchinson, a avoué avoir saboté les condoms qu’il utilisait avec sa petite amie parce qu’il voulait avoir un enfant avec elle. La plaignante, qui ne voulait pas avoir d’enfant, est néanmoins tombée enceinte et a finalement dû avorter.

M. Hutchinson a été accusé d’agression sexuelle grave, mais un juge de première instance a rejeté l’accusation et l’affaire a remonté la chaîne des appels.

Une majorité de juges de la Cour suprême ont conclu dans l’affaire Hutchinson que le consentement à «l’activité sexuelle» n’inclut pas «les conditions ou les caractéristiques de l’acte physique, telles les mesures contraceptives qui sont prises ou la présence de maladies transmissibles sexuellement».

Ils ont dit qu’au lieu de cela, de tels cas devraient être tranchés en utilisant la deuxième partie de l’analyse, qui demande s’il y a eu malhonnêteté de la part de l’accusé et si le plaignant a encouru un risque important de lésions corporelles. Sur cette base, ils ont ordonné un nouveau procès.

La décision a longtemps été critiquée par des groupes féministes et juridiques qui disent que c’est une question de bon sens que le sexe avec condom soit différent du sexe sans condom.

Les procureurs généraux de l’Alberta et de l’Ontario se sont joints à des groupes de défense pour défendre ce point en tant qu’intervenants devant la Cour suprême, soulignant que les effets du refus de porter un condom par rapport au port d’un condom saboté sont les mêmes.

Pour eux, la décision majoritaire de vendredi, rédigée par la juge Sheilah Martin, est une victoire partielle.

«Nous sommes très, très heureux du résultat de la décision», a souligné Lise Gotell, spécialiste du consentement sexuel à l’Université de l’Alberta et ancienne présidente du conseil d’administration du Women’s Legal Education and Action Fund.

Cependant, Mme Gotell a ajouté que le tribunal avait raté une occasion d’annuler complètement la décision Hutchinson «mal décidée».

Elle a dit que cela aurait évité une situation où les cas impliquant des condoms sabotés sont désormais plus difficiles à poursuivre que les cas impliquant le refus d’utiliser un condom.

«Nous pensons que le sabotage du condom est une forme de retrait non consensuel du condom qui devrait être traité de la même manière», a affirmé Mme Gotell.

Au lieu de cela, la juge Martin écrit que la décision Hutchinson était limitée à son contexte factuel spécifique et s’appliquerait toujours dans les cas où un plaignant découvre après un acte sexuel que l’accusé portait un condom sciemment saboté.

L’opinion minoritaire, avec laquelle le juge en chef Richard Wagner était d’accord, affirme que la décision Hutchinson reste la lentille appropriée à travers laquelle examiner les cas impliquant l’utilisation du condom, de sorte que la présence d’un condom ne change pas de manière significative le type d’acte sexuel qui se déroule.

Les juges de la minorité auraient trouvé des preuves que la plaignante avait consenti à l’activité sexuelle en question, ce qui signifie qu’elle avait accepté le type de relations sexuelles auxquelles les deux se livraient.

Mais ils ont également déclaré qu’il y avait des preuves de malhonnêteté par omission de la part de M. Kirkpatrick, de sorte que le juge n’aurait pas dû approuver une requête sans preuve rejetant l’accusation.

Laisser l’analyse à la question de savoir si une fraude a eu lieu ou non est problématique, selon la décision majoritaire, car pour qu’une fraude ait eu lieu, un tribunal doit conclure qu’il y a eu malhonnêteté et qu’il y avait également «un risque important de lésions corporelles».

«Les préjudices engendrés par le refus ou le retrait non consensuel du condom ne se limitent pas au risque important de lésions corporelles graves et englobent bien plus que le risque de grossesse ou d’ITS», indique la décision de la juge Martin.

Laisser l’utilisation du condom hors de l’équation du consentement lui-même aurait également perpétué le mythe selon lequel le «viol véritable» est défini uniquement par la violence physique, écrit la juge Martin, et aurait laissé certains types de personnes et certains types de rapports sexuels hors de la loi — comme les personnes qui ne peuvent pas tomber enceintes ou les actes sexuels qui ne transmettraient pas d’infection.