Avant même un premier départ, l’ARTM doit encaisser une hausse de tarif pour le REM

MONTRÉAL — Avant même qu’un seul passager ne soit monté à bord du Réseau express métropolitain (REM), la facture des pouvoirs publics a augmenté de 4,58 %, ce qui représente, selon les projections d’achalandage des responsables du projet, une augmentation de 2,4 millions $ en 2023.

Cette augmentation atteindra 21 millions $ à la dixième année d’exploitation en 2032, somme à laquelle s’ajoutera l’inflation cumulative sur 10 ans, toujours selon les projections d’achalandage de CDPQ Infra, maître d’œuvre du projet REM.

Cette augmentation est attribuable à la manière dont sont rédigées l’Entente de gestion et de réalisation entre CDPQ Infra et le ministère des Transports (MTQ) et sa version miroir pour l’intégration au réseau de transport collectif, endossée par l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

Les deux ententes avaient été conclues en mars 2018, alors que le premier segment du REM, celui reliant la Rive-Sud au centre-ville de Montréal, devait être mis en service à l’été 2021.

Clauses contradictoires

La particularité de ces ententes est qu’elles prévoyaient que l’ARTM, qui vend les titres aux utilisateurs, verse à CDPQ Infra 0,72 $ pour chaque kilomètre franchi par chaque passager, ce que l’on désigne comme étant le tarif par passager-kilomètre «à partir de la mise en service commerciale du premier segment» du REM. Toutefois, cette mise en service n’est associée à aucune date dans les deux contrats, qui semblent tenir pour acquis que la mise en service aura bel et bien lieu à l’été 2021.

En novembre 2020, un nouvel échéancier était présenté, reportant la mise en service «au printemps/été 2022», et en octobre 2022 celle-ci était reportée au printemps 2023 pour finalement être ramenée au 31 juillet prochain.

Toutefois, les deux contrats comprennent une provision d’ajustement pour l’inflation qui prévoit que le tarif versé par l’ARTM «sera ajusté le 1er janvier de chaque année (la date d’indexation) à compter du 1er janvier 2022». 

En d’autres termes, l’ajustement en vertu de l’inflation devait commencer à s’appliquer après la mise en service, qui était alors prévue pour l’été 2021. De 2018 à la fin de 2022, le tarif prévu est demeuré inchangé, à 0,72 $ du passager-kilomètre.

Hausse avant la mise en service

Or, ce tarif est passé à 0,753 $ par passager-kilomètre le 1er janvier dernier, une augmentation de 4,58 %, et ce, avant «la mise en service commerciale du premier segment», alors que le contrat prévoyait 0,72 $ au moment de la mise en service.

Il a fallu plusieurs appels et échanges de courriels avec CDPQ Infra, le ministère des Transports et l’ARTM avant d’obtenir des clarifications sur cette augmentation, les trois entités se renvoyant la balle quant à savoir qui répondrait aux questions de La Presse Canadienne.

Finalement, tant le MTQ que CDPQ Infra ont reconnu qu’il n’y avait eu aucun ajustement à l’inflation au 1er janvier 2022, mais qu’il y en avait eu un le 1er janvier 2023.

«Suivant le mécanisme défini par l’entente, le tarif a augmenté en janvier 2023 à 0,7530, ce qui représente une augmentation de (4,58) %. À titre de référence, pour l’année 2022, l’IPC annuel moyen se situe à 6,8 %», écrit Emmanuelle Rouillard-Moreau, porte-parole de CDPQ Infra. 

Du côté du ministère des Transports, le porte-parole Louis-André Bertrand explique qu’«étant donné que le REM n’a pas été mis en service selon l’échéancier initial prévu en 2021, le tarif unitaire de base de 0,72 $ n’a pas fait l’objet d’un ajustement pour l’année 2022. Comme prévu dans les ententes avec CDPQ Infra, le tarif unitaire de base pour 2023 a été indexé à 0,753 $ par passager-kilomètre.»

Trancher la poire en deux

C’est donc dire que CDPQ Infra, à qui le contrat permettait d’ajuster le tarif à compter du 1er janvier 2022, a accepté de trancher la poire en deux et de n’ajuster qu’en janvier dernier, alors que le MTQ, lui, a accepté d’encaisser une augmentation du tarif avant la mise en service.

Bien que ce soit l’ARTM qui verse le tarif, M. Bertrand rappelle que l’ensemble des contribuables québécois sont partie prenante à ce contrat. «Le ministère assume 85 % de l’impact financier net de la mise en service du REM et verse une contribution en ce sens à l’Autorité régionale de transport métropolitain», précise-t-il.

Les avis des experts interrogés par La Presse Canadienne sont mitigés face à la manière dont ce contrat a été rédigé. Tous s’entendent sur le fait que des clauses liées à l’inflation sont tout à fait normales pour ce genre d’entente de grande envergure. Ces experts s’interrogent cependant sur la compréhension qu’avaient l’ARTM et le MTQ de leur formulation.

Conscients du risque?

Il n’y a «rien d’anormal dans cette procédure dans la mesure où le prix reste constant (à 0,72 $) en ‘termes réels’», explique l’économiste Marcel Boyer, expert en économie publique à l’Université de Montréal. «Cette clause n’est pas nouvelle ni exceptionnelle. On peut penser (ou espérer) qu’elle était connue et comprise des autorités de l’ARTM et des gouvernements, provincial et municipaux», écrit-il. L’important, ajoute-t-il, est «que les partenaires soient conscients des risques qu’elles représentent et peuvent en estimer le prix, le coût ou la valeur».

Maude Brunet, experte en gestion de projets au HEC, souligne que ce contrat est «plutôt atypique» au départ. «Cependant, à la lecture des clauses liées aux paiements (p.13), on peut remarquer qu’en aucun cas l’ajustement de paiement (à partir du 1er janvier 2022) est lié conditionnellement à une mise en service préalable, il est plutôt dissocié pour permettre un flou à interpréter (à la faveur de la Caisse dans ce cas).»

Elle ajoute ce commentaire plutôt révélateur: «Les équipes de juristes qui rédigent et concluent ces ententes imposantes sont parfois inégales, en termes de nombre d’individus et de compétences, et malheureusement souvent au désavantage de la partie publique.»

«On aurait dû attendre»

De son côté, Me Claude Laferrière, expert en droit des affaires, n’est pas tendre dans son analyse de l’approche privilégiée dans ce cas. «Pourquoi augmenter le tarif de .72 à .753 cents sur la base de l’inflation alors que le REM n’est pas en service et qu’on ignore la réponse de facto du marché des passagers?», s’interroge-t-il. 

«En fait, on aurait dû attendre au moins une année après la mise en service du REM pour annoncer cette augmentation de tarif, si cela devait s’avérer nécessaire. Pour l’heure, les autorités se sont livrées à un exercice théorique et à une communication maladroite qui peut donner lieu à mille spéculations», note l’avocat. 

Enfin, deux précisions s’imposent. La première est que les chiffres d’augmentation de coût de 2,4 millions $ en 2023 et de 21 millions $ en 2032 (plus l’inflation accumulée) sont basés sur des projections d’achalandage de 72,6 millions de passagers-kilomètres en 2023 et de 636 millions de passagers-kilomètres, telles que l’on retrouve dans les annexes des deux ententes et qui sont maintenues par CDPQ Infra

La seconde est que les coûts réels chargés à l’ARTM «se feront en fonction de l’achalandage réel et non estimé ou projeté», a précisé Mme Rouillard-Moreau. Aussi, ce tarif de 0,753 $ par passager-kilomètre sera réduit de 20 % si l’achalandage réel atteint 115 % des projections et sera ramené au coût du billet si cet achalandage atteint 140 % des projections.