Agressions sexuelles dans l’armée: la juge Arbour demande des changements structurels

OTTAWA — En plus d’appeler au transfert de tout dossier d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel au sein des Forces armées canadiennes (FAC) vers des autorités civiles, l’ex-juge de la Cour suprême Louise Arbour exhorte à de profonds changements dans les structures et les façons de faire de l’armée.

Dans un autre rapport coup-de-poing publié lundi sur ces problèmes endémiques, Mme Arbour soutient que cet attachement à la tradition a été un frein au réel changement et que les FAC doivent laisser les acteurs externes contribuer directement au virage nécessaire.

«C’était très frappant pour moi à quel point il y a une espèce d’autarcie au niveau des forces armées et je pense que ça inspire toutes mes recommandations: l’importance d’amener un peu d’oxygène extérieur dans une organisation qui ne pourra pas évoluer en vase clos», a résumé Louise Arbour en point de presse.

Elle n’a pas manqué de souligner que la forte prévalence des cas d’inconduite sexuelle n’est pas un phénomène nouveau. Au fil de ses 48 recommandations, la juge à la retraite revient sur celles de l’ex-juge Marie Deschamps en 2015, déplorant que ces dernières n’aient pas été suivies de prises d’action adéquates et porteuses de réels changements par les FAC.

«Elles ont choisi de se conformer à la lettre plutôt qu’à l’esprit des recommandations et de prioriser l’apparence des mesures plutôt que leur substance, ce qui a eu pour effet de renforcer les façons de faire existantes, tranche-t-elle. Je crois qu’il s’agit là d’une conséquence du mode de fonctionnement insulaire qui prévaut traditionnellement chez les FAC et de la détermination de ces dernières à continuer d’opérer de la même manière qu’elles l’ont toujours fait.»

Louise Arbour, qui a aussi été haute-commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, précise que son constat n’en est pas un de défaitisme, mais que la façon passée de répondre aux recommandations en produisant «des listes, des graphiques, des inventaires et des présentations PowerPoint ainsi qu’à instaurer de nouveaux ordres, politiques et directives» doit être reléguée aux oubliettes.

Elle recommande qu’une personne indépendante soit mandatée «immédiatement» pour assurer un suivi continu aux  recommandations de son rapport. Ce «contrôleur externe» serait chargé de fournir des examens d’étape chaque mois à la ministre de la Défense, Anita Anand.

«Une réelle ouverture aux apports et à l’aide de l’extérieur, ne se limitant pas seulement à des conseils ponctuels et non contraignants, pourrait avoir une incidence d’une grande portée. Ultimement, cette ouverture pourrait permettre aux FAC d’évoluer au même rythme que la société canadienne et de démontrer un véritable effort de changement organisationnel», peut-on lire dans le rapport Arbour.

La ministre Anand, qui s’est engagée lundi à la prise d’actions immédiates pour 17 des 48 recommandations, a promis de nommer ce «contrôleur externe».

Appelée à préciser quand cela serait fait et à quel moment cette personne serait à pied d’œuvre, Mme Anand a répondu «aussitôt que possible» aux journalistes.

Le chef d’état-major de la Défense, le général Wayne Eyre, a dit que les membres des FAC se doivent de recevoir avec ouverture un regard extérieur sur leur institution. «Nous n’avons pas toutes les réponses nous-mêmes. (…) Personne n’a le monopole sur toutes les solutions qui sont nécessaires», a-t-il dit en laissant entendre que des rapports antérieurs ont été reçus de la mauvaise façon. 

«Peut-être que nous avons été trop sur la défensive quand des paires d’yeux ont été tournées sur nous», a-t-il mentionné.

À l’instar de sa recommandation préliminaire déjà faite, Louise Arbour a réitéré sa requête à ce que toute accusation de nature sexuelle qui équivaudrait à une infraction au Code criminel «relève de la compétence exclusive des autorités civiles».

À ce sujet, la ministre Anand, qui avait accepté cette recommandation «dans son intégralité» en novembre dernier, a affirmé lundi que cela progresse. 

Elle a dit que des discussions ont été lancées avec les partenaires provinciaux et territoriaux pour ces transferts et qu’elle écrirait, la semaine prochaine, aux ministres de ces ordres de gouvernement sur la marche à suivre. Elle a mentionné qu’une table de travail intergouvernementale serait mise en place pour garantir un processus «durable qui va bien servir les membres des FAC sur le long terme».

Outre les 17 recommandations où des actions immédiates sont promises, la ministre Anand a soutenu que le reste des 48 mesures suggérées requièrent un travail d’analyse et de planification. «Je vais personnellement évaluer si et quand nous pouvons implanter ces recommandations efficacement et de façon efficiente.»

Mme Arbour réclame notamment qu’Ottawa indique clairement, d’ici la fin de 2022, quelles recommandations seront mises de côté, ce que la ministre Anand a confirmé qu’elle ferait.

L’ex-haute-commissaire des Nations unies demande aussi à ce que tout cas de harcèlement sexuel se retrouve entre les mains de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP).

De leur côté, les principaux partis d’opposition ont accusé le gouvernement Trudeau d’inaction pour avoir laissé dormir les recommandations du rapport Deschamps, qui avait généré une onde de choc en 2015.

«La balle est maintenant dans le camp des libéraux. Vont-ils encore prendre sept ans après le dépôt d’un rapport pour agir?», a lancé le chef adjoint des conservateurs, Luc Berthold.

Le leader parlementaire néo-démocrate Peter Julian a renchéri que le coût, pendant ces années, a été «dévastateur sur les femmes militaires».

La porte-parole bloquiste en matière de Condition féminine, Andréanne Larouche a quant à elle invité le gouvernement à «démontrer sa réelle volonté politique de mettre fin à cette culture toxique dans les forces armées canadiennes».

Note aux lecteurs: Dans le dernier paragraphe du texte, une erreur de frappe s’est glissée. Il aurait fallu lire : Andréanne Larouche a quant à elle invité le gouvernement à «démontrer sa réelle volonté politique (…)