Ukraine: les résistants d’Azovstal tiennent bon

ZAPORIJJIA, Ukraine — D’autres civils ont été sauvés des tunnels sous une aciérie assiégée à Marioupol, a déclaré vendredi un responsable ukrainien, au moment même où les combattants terrés dans le complexe tentaculaire livraient un dernier combat pour empêcher la prise de contrôle complète de la ville portuaire stratégique par Moscou.

Le combat dans le dernier bastion ukrainien d’une ville réduite en ruines par l’assaut russe semblait de plus en plus désespéré au milieu de spéculations croissantes selon lesquelles le président Vladimir Poutine veut terminer la bataille de Marioupol afin qu’il puisse présenter un triomphe au peuple russe à temps pour le Jour de la Victoire de lundi, la plus grande fête patriotique du calendrier russe.

Selon les estimations les plus récentes de la Russie, quelque 2000 combattants ukrainiens sont enfermés dans un vaste labyrinthe de tunnels et de bunkers sous l’aciérie d’Azovstal ― et ils ont refusé à plusieurs reprises de se rendre. L’Ukraine a déclaré que quelques centaines de civils y étaient également piégés – et après que la bataille se soit intensifiée ces derniers jours, les craintes pour leur sécurité n’ont fait qu’augmenter.

«Nous avons mené une autre étape d’une opération complexe pour évacuer les gens de Marioupol et d’Azovstal. Je peux dire que nous avons réussi à sauver près de 500 civils», a déclaré vendredi le chef du bureau présidentiel ukrainien, Andriy Yermak, sur l’application de messagerie Telegram.

Il n’était pas clair si ce chiffre se référait entièrement à de nouvelles évacuations ou incluait environ 100 personnes qui ont été secourues au cours du week-end dans le cadre d’une opération assistée par les Nations Unies. On ne savait pas non plus combien de personnes pourraient rester sous terre, mais le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré jeudi que l’organisation «doit continuer à faire tout ce qui est en son pouvoir pour sortir les gens de ces enfers».

Les personnes qui fuient Marioupol doivent généralement traverser des zones contestées et de nombreux points de contrôle ― prenant parfois des jours pour atteindre une sécurité relative dans la ville de Zaporijjia sous contrôle ukrainien, à environ 230 kilomètres au nord-ouest.

Avant le Jour de la Victoire ― qui marque le triomphe de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie ― des ouvriers municipaux et des volontaires ont nettoyé ce qui reste de Marioupol, une ville qui est maintenant sous le contrôle de la Russie, exception faite de l’aciérie. Les bulldozers ont ramassé les débris et les gens ont balayé les rues – avec en toile de fond des bâtiments éventrés par les bombardements. Des ouvriers ont réparé un modèle de navire de guerre et des drapeaux russes ont été hissés sur des poteaux électriques.

La chute de Marioupol priverait l’Ukraine d’un port vital; permettrait à la Russie d’établir un corridor terrestre vers la péninsule de Crimée, qu’elle a saisie à l’Ukraine en 2014; et libérerait des troupes pour combattre ailleurs dans le Donbass, la région industrielle orientale que le Kremlin dit être maintenant son objectif principal. Sa prise a également une valeur symbolique puisque la ville a été le théâtre de certaines des pires souffrances de la guerre et d’une résistance étonnamment féroce.

Alors qu’elles pilonnaient l’usine, les forces russes ont eu du mal à faire des gains significatifs ailleurs, dix semaines après le début d’une guerre dévastatrice qui a tué des milliers de personnes, forcé des millions de personnes à fuir le pays et rasé de vastes étendues de villes.

L’état-major de l’armée ukrainienne a indiqué vendredi que ses forces avaient repoussé 11 attaques dans le Donbass et détruit des chars et des véhicules blindés, frustrant davantage les ambitions du président Poutine après sa tentative avortée de s’emparer de Kyiv. La Russie n’a pas immédiatement reconnu ces pertes.

Le chef de la défense ukrainienne, le général Valerii Zaluzhnyi, a quant à lui annoncé jeudi qu’une contre-offensive pourrait commencer à éloigner les forces russes de Kharkiv et d’Izyum, deux villes clés de la campagne russe dans le Donbass, où les séparatistes soutenus par Moscou combattent les troupes ukrainiennes depuis maintenant huit ans. Déjà, des combattants ukrainiens ont repoussé les troupes russes à environ 40 kilomètres à l’est de Kharkiv ces derniers jours.

L’objectif pourrait être de faire reculer les Russes hors de portée de l’artillerie, pour les empêcher de bombarder la ville et forcer Moscou à détourner des troupes d’autres zones de la ligne de front, selon une évaluation de l’Institut de l’étude de la guerre, un groupe de recherche basé à Washington.

Le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a dit que les forces russes ne faisaient que des progrès «pénibles» dans le Donbass, tandis que l’Institut a déclaré que leurs opérations là-bas étaient «inefficaces» et n’avaient obtenu aucun gain territorial significatif au cours des 24 heures précédentes.

En fait, l’impasse prolongée à l’usine de Marioupol contribue à entraver les plans de la Russie pour le Donbass, a expliqué vendredi le ministère britannique de la Défense dans une évaluation.

Les combats à l’usine «ont coûté du personnel, de l’équipement et des munitions à la Russie, a-t-il déclaré. Alors que la résistance ukrainienne se poursuit à Avozstal, les pertes russes continueront d’augmenter et de contrecarrer leurs plans opérationnels dans le sud du Donbass.»

Les Ukrainiens disent que les troupes russes ont pris d’assaut l’aciérie et la frappent également depuis les airs, mais la femme d’un commandant de l’usine a déclaré qu’ils avaient juré de «tenir jusqu’à la fin».

«Ils ne se rendront pas, a déclaré jeudi Kateryna Prokopenko après avoir parlé par téléphone à son mari, Denys Prokopenko. Ils n’espèrent qu’un miracle.»

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a également été provocant dans son discours vidéo nocturne.

«Il y a beaucoup de blessés (parmi les combattants), mais ils ne se rendent pas, a-t-il déclaré. Ils tiennent leurs positions.»

«Imaginez cet enfer! Et il y a des enfants là-bas, a-t-il ajouté. Plus de deux mois de bombardements constants, de morts constantes.»

Les Russes ont pulvérisé une grande partie de Marioupol, qui avait une population d’avant-guerre de plus de 400 000 habitants, et un siège de deux mois a piégé environ 100 000 civils avec peu de nourriture, d’eau, d’électricité ou de chauffage. Les civils qui s’abritaient à l’intérieur de l’usine ont peut-être encore plus souffert – se cachant sous terre sans voir la lumière du jour depuis des mois.

Les Russes ont réussi à pénétrer à l’intérieur de l’usine mercredi avec l’aide d’un électricien qui connaissait l’aménagement, a déclaré Anton Gerashchenko, un conseiller au ministère ukrainien des Affaires intérieures.

«Il leur a montré les tunnels souterrains qui mènent à l’usine», a déclaré M. Gerashchenko dans une vidéo.

Le Kremlin a nié que ses troupes aient pris d’assaut l’usine, et la Russie a également accusé les combattants d’empêcher les civils de partir.

Jeudi, un responsable américain a révélé que les États-Unis avaient partagé des renseignements avec l’Ukraine sur l’emplacement d’un vaisseau amiral russe avant la frappe de la mi-avril qui l’a coulé, l’un des échecs les plus médiatisés de Moscou dans la guerre.

Les États-Unis ont fourni «une gamme de renseignements» qui comprend les emplacements des navires de guerre, a déclaré le responsable, qui n’était pas autorisé à s’exprimer publiquement et a parlé sous couvert d’anonymat. Le responsable a déclaré que la décision de cibler le croiseur lance-missiles Moskva était une décision purement ukrainienne.