Six mois de guerre: l’Ukraine lutte toujours et fait face à de douloureuses séquelles

TCHERNIHIV, Ukraine — Danyk Rak aime faire du vélo, jouer au soccer et passer des moments tranquilles avec le chien de la famille et deux chats blancs, Pushuna et Lizun.

Mais à 12 ans, son enfance a été brutalement interrompue. La maison de sa famille a été détruite et sa mère grièvement blessée lorsque les forces russes ont bombardé la banlieue de Kyiv et les villes environnantes dans un effort vain pour s’emparer de la capitale.

Six mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et alors que la fin du conflit n’est pas en vue, l’Associated Press est retourné voir le jeune Danyk Rak, ainsi qu’un policier et un prêtre orthodoxe dont la vie a été bouleversée par la guerre. 

«Je veux être pilote de l’armée de l’air»

Les larmes montent aux yeux de Danyk alors que sa mère, Luda, se souvient avoir été tirée des décombres, couverte de sang, après que des éclats d’obus lui ont déchiré le corps et lui ont brisé le pied droit.

Vingt-deux semaines après avoir été blessée, elle attend toujours que son pied soit amputé et qu’on lui pose une prothèse. Elle conserve le morceau d’éclat que les chirurgiens ont retiré lors d’une de ses nombreuses opérations. 

Danyk vit avec sa mère et sa grand-mère dans une maison près de Chernihiv, une ville située à 140 kilomètres au nord de Kyiv, où un morceau de bâche recouvre les fenêtres brisées de la chambre. Il vend du lait de la vache familiale qui broute dans les champs voisins. Sur la porte d’entrée, une pancarte manuscrite enveloppée dans du plastique transparent indique : «S’il vous plaît acheter du lait pour aider ma mère qui est blessée.»

«Ma mère a besoin d’une intervention chirurgicale et c’est pourquoi je dois l’aider. Je dois aussi aider ma grand-mère parce qu’elle a des problèmes cardiaques», a déclaré Danyk Rak.

Avant la réouverture des écoles le 1er septembre, Danyk et sa grand-mère se sont joints à des bénévoles plusieurs jours par semaine pour nettoyer les débris des bâtiments endommagés et détruits lors du bombardement russe à l’extérieur de Tchernihiv. En chemin, il s’arrête à son ancienne maison, dont la majeure partie a été détruite jusqu’aux fondations.

«C’était ma chambre», dit-il, debout à côté des ressorts de matelas brûlés qui dépassent des décombres de briques et de plâtre.

Poli et gentil, Danyk indique que son père et son beau-père combattent tous les deux dans l’armée ukrainienne.

«Mon père est militaire, mes oncles sont militaires et mon grand-père était militaire aussi. Mon beau-père est militaire et je serai militaire, dit-il d’un air déterminé. Je veux être pilote de l’armée de l’air.»

«Ce pont était la route de l’enfer»

Avant le retrait russe de la ville de Kyiv et des environs le 2 avril, les banlieues et les villes proches de l’aéroport de la ville ont été bombardées par des roquettes, des tirs d’artillerie et des bombardements aériens dans le but de briser les défenses ukrainiennes.

Des pâtés de maisons entiers de la ville ont été noircis par les bombardements à Irpin, à seulement 20 kilomètres au nord-ouest de la capitale, le long d’une route où le lieutenant de police Ruslan Huseinov patrouillait quotidiennement.

Certaines des scènes les plus dramatiques du début de la guerre sont celles de l’évacuation d’Irpin sous un pont autoroutier détruit, où des milliers de personnes ont échappé aux attaques incessantes. 

Le lieutenant Huseinov y est resté 16 jours, organisant des traversées où les personnes âgées étaient transportées sur des sentiers boueux dans des brouettes.

Les travaux de reconstruction ont commencé sur le pont, où des barres de béton et de fer mutilées pendent au-dessus de la rivière. Les vêtements et les chaussures de ceux qui ont fui peuvent encore être vus mélangés dans les décombres.

«Ce pont était la route de l’enfer», décrit M. Huseinov, 34 ans, debout à côté d’une camionnette blanche renversée toujours coincée dans une dalle de béton brisé.

Il indique que les autorités ont fait sortir les gens d’Irpin, parce que les conditions étaient «terribles» avec les bombardements. «Les gens avaient vraiment peur, car beaucoup ont perdu leurs enfants, des membres de leur famille, leurs frères et sœurs», dit-il. 

Des croix en bois de construction sont toujours clouées aux rambardes du pont pour honorer ceux qui sont disparus et les efforts déployés pour sauver les civils.

«Le monde entier a été témoin de notre solidarité, déclare M. Huseinov, qui a grandi en Allemagne. Il dit qu’il ne tiendra plus jamais les bonnes choses de la vie pour acquises.

«Dans mon esprit, tout a changé : mes valeurs dans la vie. Maintenant, je comprends ce que nous avons à perdre», relate le lieutenant. 

«Avant la guerre, c’était une autre vie»

Le sol de l’église d’André l’Apôtre a été refait et les trous faits par les balles dans les murs ont été recouverts de plâtre et repeints, mais l’horreur de ce qui s’est passé en mars ne se trouve qu’à quelques mètres de là. 

La plus grande fosse commune de Bucha – une ville à l’extérieur de Kyiv qui est devenue synonyme de la brutalité de l’attaque russe – se trouve derrière l’église.

«Cette fosse contenait 116 personnes, dont 30 femmes et deux enfants», a déclaré le père Andriy, qui a organisé plusieurs services funéraires pour les civils retrouvés abattus ou tués par des bombardements, certains encore identifiés uniquement par un numéro alors que l’effort pour nommer toutes les victimes de Bucha continue.

De nombreux corps ont été retrouvés avant que les Russes ne se retirent de la région de Kyiv, a fait savoir le père Andriy.

«Nous ne pouvions pas enterrer les gens dans le cimetière, car il se trouve à la périphérie de la ville. Ils ont laissé des gens, des morts, gisant dans la rue. Des personnes décédées ont été retrouvées encore dans leurs voitures. Ils essayaient de partir, mais les Russes les ont bombardés», a raconté le père Andriy, portant une grande croix autour du cou et une soutane violet foncé.

«Cette situation a duré deux semaines, et les autorités locales ont commencé à proposer des solutions (pour aider) les parents et les proches. Le temps était mauvais et les animaux sauvages découvraient les corps. Il fallait donc faire quelque chose».

Il a décidé d’effectuer des services funéraires dans la cour de l’église, souvent à côté de l’endroit où les corps avaient été découverts.

L’expérience, a-t-il dit, a profondément ébranlé les habitants de la ville.

«Je pense que ni moi ni quiconque vivant en Ukraine, qui a été témoin de la guerre, ne peut comprendre pourquoi cela s’est produit, a-t-il déclaré. Avant la guerre, c’était une autre vie.»

«Pour l’instant, nous survivons grâce à l’adrénaline, a-t-il témoigné. Mais je crains que les conséquences ne durent des décennies. Il sera difficile de dépasser cela et de tourner la page. Dire le mot  »pardonner » n’est pas difficile. Mais le dire avec son cœur – pour l’instant, ce n’est pas possible.»