EXPLICATIONS: qu’est-ce qui se passe à Tchornobyl?

NEW YORK — Quand l’invasion russe de l’Ukraine a provoqué une panne de l’alimentation électrique du système de refroidissement de l’ancienne centrale nucléaire de Tchnornobyl, certains ont redouté une surchauffe du combustible nucléaire qui y est toujours entreposé.

Des experts assurent toutefois qu’il n’y a rien à craindre, puisque le temps et la physique jouent en faveur de la sécurité.

Puisque les barres de combustible se refroidissent depuis maintenant plus de 20 ans, la situation n’est pas comparable au désastre nucléaire de Fukushima en 2011 ni même à l’implosion initiale de Tchornobyl il y a 36 ans, ont confié à l’Associated Press plusieurs experts en énergie nucléaire.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) dit aussi ne constater aucun impact important sur la sécurité de la centrale, qui a été le théâtre du pire accident nucléaire de l’histoire en 1986.

QUE S’EST-IL PASSÉ À TCHORNOBYL DEPUIS QUELQUES JOURS?

La firme qui gère le réseau électrique ukrainien, Ukrenerho, a dit que l’alimentation électrique de toutes les installations de Tchornobyl a été interrompue, et que les génératrices au diesel disposent de suffisamment de carburant pour fonctionner pendant 48 heures. Sans électricité, les «paramètres de sécurité nucléaire et de radiation» ne peuvent pas être contrôlés, a-t-elle dit.

Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a dit que la centrale, qui a été occupée par les forces russes après le début de l’invasion, le 24 février, «a perdu toute son alimentation électrique» et il a demandé à la communauté internationale «d’exhorter de manière urgente la Russe à cesser le feu et à permettre aux équipes de réparation de rétablir le courant».

Un porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a dit que le président russe Vladimir Poutine «s’est engagé à garantir la sécurité des sites nucléaires en Ukraine» lors de sa conversation téléphonique avec son homologue français Emmanuel Macron, dimanche.

QUELLE ÉTAIT LA PRINCIPALE INQUIÉTUDE?

Les barres de combustible de la centrale de Tchornobyl, qui a fermé ses portes en 2000, contiennent 230 kilogrammes d’uranium. Elles sont immergées sous au moins 15 mètres d’eau, avec un système de refroidissement actif, a dit Frank von Hippel, un physicien de l’université Princeton.

On craignait essentiellement que la panne électrique n’entraîne aussi une panne des génératrices d’urgence qui alimentent le système de refroidissement. Si cela devait se produire, les barres de combustible pourraient surchauffer, l’eau qui les refroidit s’évaporerait, la température grimperait à 800 degrés Celsius, et un incendie éclaterait.

Mais c’est «peu probable dans cette situation parce que le combustible est si froid», a dit Edwin Lyman, le responsable de la sécurité de l’énergie nucléaire pour l’Union of Concerned Scientists.

Ce scénario très improbable mettrait des «semaines ou des mois» à se concrétiser, a dit M. Von Hippel.

Une telle surchauffe «se produirait très lentement, et ça pourrait ne jamais se produire», a-t-il ajouté, en calculant qu’il faudrait environ 40 jours pour évaporer toute l’eau de la piscine.

En temps normal, les barres de combustible perdent une quantité énorme d’énergie et de radioactivité — par un facteur de 10 — tous les sept jours, dit Patrick Regan, qui enseigne la physique nucléaire à l’Université de Surrey.

Il a dit que le scénario actuel ne ressemble pas à l’implosion initiale de Tchornobyl ou au désastre de Fukushima, quand les barres de combustible étaient si neuves et si chaudes «qu’il fallait assurer une circulation continuelle de l’eau».

Après la catastrophe de Fukushima, qui avait été causée par un séisme et un tsunami, une étude demandée par le gouvernement ukrainien avait conclu qu’il ne serait pas possible pour l’eau de refroidissement de bouillir et de s’évaporer, exposant les barres de combustible et provoquant un nouveau désastre, a dit M. Lyman.

LA PHYSIQUE DU REFROIDISSEMENT DES BARRES DE COMBUSTIBLE

Les barres de combustibles qui ne sont plus en mesure de générer d’électricité sont quand même très radioactives et très chaudes. La décroissance de leur radioactivité interne génère de la chaleur et perdure pendant des dizaines de milliers d’années, donc elles peuvent surchauffer si elles ne sont pas refroidies, a dit M. Regan.

Les barres sont immergées dans des piscines de stockage de combustible où l’eau et un système électrique les refroidissent avec une pompe de transfert de la chaleur.

«Dès que tu interromps le mécanisme de refroidissement, (la chaleur) va augmenter», a dit M. Regan.

Éventuellement, dans la plupart des centrales, la radioactivité et la chaleur chutent suffisamment pour passer d’un refroidissement par l’eau à un refroidissement par l’air.

PAS DE DANGER IMMÉDIAT

L’autorité suédoise de sécurité nucléaire estime qu’une panne de courant à Tchornobyl n’entraînera pas d’émissions radioactives au cours des deux prochaines semaines.

«Les piscines de stockage de combustible sont aussi très profondes et il faudrait probablement plusieurs semaines pour que l’eau bouille et s’évapore, même si les pompes de refroidissement sont en panne. Ça devrait donner assez de temps pour rebrancher les systèmes de refroidissement», a dit Mark Wenman, un expert de l’énergie nucléaire de l’Imperial College London.

L’AIEA, l’agence nucléaire onusienne basée à Vienne, a dit ne constater aucun impact critique sur la sécurité de Tchornobyl parce qu’il pourrait y avoir «une élimination efficace de la chaleur (du carburant nucléaire du site) sans avoir besoin d’une alimentation électrique».

M. Lyman et d’autres experts ont dit davantage s’inquiéter de dommages potentiels aux systèmes de refroidissement et d’autres problèmes aux quatre autres centrales nucléaires ukrainiennes, plutôt qu’à celle de Tchornobyl. En 2017, Tchornobyl a reçu, à un coût de deux milliards d’euros, un nouveau système de confinement pour recouvrir l’ancien sarcophage.

AUTRES INQUIÉTUDES

L’étude réalisée après Fukushima a soulevé des inquiétudes concernant une accumulation d’hydrogène, un sous-produit du processus de refroidissement. Le gaz est normalement éliminé avec un système électronique, a dit M. Lyman, mais des poches pourraient s’accumuler en cas de panne et exploser, par exemple si des étincelles se produisent quand on rebranche l’électricité.

Une panne de courant signifie aussi que le système de surveillance de l’AIEA est aveuglé, a rappelé M. Lyman.

«Ce n’est pas seulement le refroidissement des piscines, mais tous les systèmes de surveillance de la radiation sur le site qui sont perdus, a-t-il dit. L’AIEA n’a plus de caméras.»

La situation générale n’est pas bonne, a-t-il ajouté, mais elle n’est pas urgente. Plusieurs couches de sécurité sont en place, même si une panne électrique en élimine quelques-unes.

«Si un autre problème survient, la marge est moins grande», a dit M. Lyman.

Si une catastrophe devait se produire, le Bélarus voisin, un allié de Moscou, «devrait s’inquiéter plus que n’importe qui d’autre, en raison de sa proximité du site de Tchornobyl», a dit le professeur Najmedin Meshkati, de l’université Southern California. La frontière biélorusse est à environ 15 kilomètres de Tchornobyl, tandis que la capitale ukrainienne, Kyiv, est à 130 kilomètres au sud de la centrale.

«Le Bélarus a reçu les pires retombées» du nuage radioactif qui s’est échappé de Tchnornobyl en 1986, a-t-il dit, et le président biélorusse Alexander Loukachenko devrait «tout faire pour supplier M. Poutine de cesser les opérations militaires autour de Tchornobyl».