Un mois plus tard, les dégâts sont encore importants

Danielle Lavigne a vu sa résidence inondée lors des pluies diluviennes des 9 et 10 août. Elle avait achevé les rénovations de son sous-sol depuis à peine quelques semaines que quatre pieds d’eau s’introduisaient dans sa maison, laissant cette fois de six à huit pouces de boue.

Propriétaire de sa maison à paliers de la rue Louis-Camirand depuis 2018, Mme Lavigne vit un premier événement d’infiltration d’eau en juin 2021 alors qu’un refoulement d’égout laisse deux pouces d’eau dans sa cave.

En 2023, les pluie importantes du 13 juillet ont amené d’un à deux pouces d’eau sur deux des quatre paliers. Le 18 décembre, ses voisins et elles s’activaient à casser la glace sur les puisards de la rue avant que les 64 mm de pluie tombés à l’aube de l’hiver causent encore des dégâts.

Après l’épisode de l’été 2023, Mme Lavigne fait installer plusieurs dispositifs pour tenter de se prémunir contre des événements semblables.

« J’ai fait mettre des drains, des parois sur la maison. J’ai fait mettre un clapet de dix pouces de diamètre. Ce n’est pas une petite porte en plastique, c’est en métal, c’est une guillotine. Tout le monde me disait que j’étais en sécurité. En décembre, j’ai vu l’eau rentrer encore. J’avais ma pompe submersible et une pompe qui déclenche à la pression de l’eau. Je suis allée me chercher un autre pompe. »

Partie à l’extérieur visiter sa famille, Mme Lavigne a écourté son séjour pour revenir précipitamment chez elle le 10 août, informée de la situation par sa fille à qui elle avait demandé de veiller sur la maison pendant son absence.

« Une chance que ma fille est venue avec son conjoint. Ils ont essayé de sauver les meubles. Elle est passée souvent durant la journée. Jusqu’à huit heures le soir, tout était correct. Mais à un moment donné ç’a commencé à monter et ils ont perdu le contrôle. Elle m’a demandé d’appeler la personne qui était venue poser mes drains. Ils sont venus me porter une autre pompe. Je suis rendu avec quatre pompes, puis ça n’a pas suffi. Ça montait à vue d’œil. La rue avait en moyenne deux pieds et demi d’eau. Les voisins m’ont dit que ma maison était sur une île avec un pied d’eau tout le tour. »

Mme Lavigne a perdu deux congélateurs, un frigo et tout leur contenu.

« Ma fille a commencé à voir le gros congélateur valser. Elle et son conjoint ont essayé de le sauver. Une chambre était fraîchement refaite à neuf, remeublée, j’avais descendu mon bureau de travail. J’ai tout perdu. On a tout arraché, on a pataugé dans la boue. On enlevait la boue à la pelle. Ma fournaise a baigné dans tout ça, elle était pleine de boue. On ne voit pas l’heure de se sortir de ça. Ça fait plus d’un mois et je suis encore là-dedans. »

À chaque épisode, après avoir constaté les dégâts, il faut prévenir son assureur, faire une réclamation à la Ville et, surtout, se redresser les manches et vider les pièces touchées en jetant toutes sortes d’objets, parfois des souvenirs précieux.

Même si l’idée lui trotte dans la tête, Mme Lavigne hésite à vendre sa maison qui représente une grande valeur sentimentale puisqu’il s’agit de la maison de son enfance qu’elle a rachetée il y a quelques années.

« Le quartier ici, je l’aimais. Je suis proche de tout. Peu importe où je veux aller faire mes commissions, je suis proche. Et si je vends, il faut bien que je rachète. Les maisons ici se vendent en moyenne 350 000 $. Un de mes voisins n’est plus capable. Il a affiché sa maison à 280 000 $, puis des gens lui ont offert 200 000. »

Elle demande des explications au conseil municipal

Vivre à répétition de tels événements amène Mme Lavigne à se questionner sur le rôle de la Ville de Trois-Rivières, notamment quant à la préparation d’un plan d’urgence lorsque des précipitations aussi importantes sont attendues.

De nature plutôt timide et peu encline à prendre la parole en public, Mme Lavigne a fait une intervention à la séance publique du conseil de ville au début du mois de septembre. Ouverte et croyant en la bonne foi de la Ville jusqu’à l’été 2023, elle demande maintenant des comptes aux élus.

« L’année passée, quand c’est arrivé, j’étais la personne vraiment optimiste. Je croyais en la Ville, qu’ils allaient faire des choses, mais ça fait un an et je n’ai rien vu de concret. On se sent un peu abandonné. On espère. Je vis toujours d’espoir. Je veux toujours avoir confiance et les croire, mais je veux voir quelque chose de concret. »

Elle pense que des actions simples pourraient être rapidement être exécutées comme nettoyer les ponceaux et les fossés ou remettre en état le barrage près de l’université. Elle croit surtout qu’il y a un problème avec le poste de pompage Catro.

« En 2021 quand on a eu le refoulement, les pompes ne fonctionnaient pas. L’année passée, les pompes ne fonctionnaient pas. Je ne sais pas comment ça fonctionne, mais on m’a dit que c’était une intervention manuelle. »

La boue qui s’est infiltrée dans le sous-sol de la maison de Danielle Lavigne à la suite des inondations causées par les pluies diluviennes du 9 et 10 août. (Photo courtoisie)

Le fondateur du groupe citoyen Eautage, Marc Lépine, nuance cette explication.

« La station de pompage a fonctionné jusqu’à ce qu’elle soit elle-même inondée. Les pompes sont souterraines, dans une grosse fosse en béton, une piscine, on pourrait dire, dans laquelle il y a des pompes à 15 ou 20 pieds dans le sol. Ç’a été inondé, de là l’arrêt des pompes. Il aurait fallu avoir une méga-pompe à côté pour sortir l’eau de cette piscine-là. Mais en même temps, tu l’envoies où, l’eau? C’est un cercle vicieux. »

Le matin du vendredi 9 août, M. Lépine était déjà inquiet des prévisions météo. Il a entrepris une tournée d’observation.

« La Ville a annoncé la veille des débordements qu’elle était prête. Le jour même, j’ai appelé au 311 pour demander comment la Ville s’était préparée, quelles étaient les actions qu’on prévoyait. On m’a rappelé et pour me dire qu’on surveillait les cours d’eau. Pour moi, ce n’est pas être préparé, ce n’est même pas être en action, c’est être en réaction. J’ai indiqué qu’à un endroit il y avait beaucoup de trucs qui flottaient, des bouts de bois, du styromousse, des déchets qui empêchaient l’écoulement de l’eau. Ç’a pris 20 minutes, une équipe venait les enlever. »

Même s’il est très critique envers la Ville, M. Lépine comprend ses moyens limités dans les circonstances.

« Je suis conscient qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Je ne peux pas attribuer tous les maux à la Ville. Est-ce qu’elle peut faire autre chose que bien nettoyer ses cours d’eau? Pour le moment, je ne crois pas. Il y a des plans d’intervention à venir, qui tardent depuis 2012. Des études commandées par la Ville en 2005 disent qu’on est désuet au niveau des installations. La Ville n’a pas mis d’efforts à mettre à jour ses installations. Je pense que la Ville a toujours été dans le déni, que c’étaient des situations exceptionnelles. C’est depuis le printemps que la Ville a reconnu qu’il y avait un problème, une situation hors de contrôle même. »

M. Lépine ose à peine s’avancer sur un point tournant dans le développement de la ville qui aurait pu jouer un rôle sur la fréquence des débordements.

« Il faudrait que je sois un scientifique pour répondre à cette question-là. Moi, je fais des constats visuels. Je vous dirais que c’est le District 55. C’est le seul constat que je peux faire et il a été amplifié par l’agrandissement du stationnement du Costco. Les gens à côté n’avaient pas dans leur cour autant d’eau qu’ils en ont aujourd’hui », affirme-t-il.

Il note aussi l’arrivée du Prix du gros. « Ils ont mis à peu près dix pieds de sable qu’ils ont compacté pour ne plus avoir d’eau. L’eau va où? On n’a pas une preuve scientifique de ça, mais il y a une corrélation. La Ville ne coordonne pas ces nouveaux développements avec l’infrastructure. Il ne faut pas oublier que Trois-Rivières-Ouest a été bâti sur des zones humides sans intervention de redirection ou de contrôle de l’eau. »

« Au contraire, les trois cours d’eau, Bettez, Lacerte et Millette, ont été amoindris en largeur. La combinaison est parfaite. Tu n’as plus de terre humide qui absorbe l’eau comme une éponge et les cours d’eau sont diminués. Tu viens occasionner un bouchon nécessairement et on va ajouter à ça tout le poids des résidences, des rues, le poids que ça fait sur la nappe phréatique. Cette nappe-là veut se frayer des chemins, donc remonte à la surface.  Si l’eau n’est pas absorbée par le sol, il faut combler par des conduites d’eau en bon format, un réseau collecteur. Si ces cours d’eau-là, vous ne pouvez pas les contenir, remplacez-les par des grosses conduites. Ils ne déborderont plus », poursuit M. Lépine.

Un résident du secteur a mesuré la quantité d’eau dans la rue. (Photo courtoisie)

Drame humain

La Ville de Trois-Rivières a déjà annoncé des investissements de 40 M$ pour les cinq prochaines années dédiés à tenter de régler le problème. Tant que la situation perdure, le moral des résidents est au plus bas.

« Je le martèle depuis des années: c’est un drame humain qu’on vit. Le matériel, c’est une chose, mais cette perte matérielle-là amène des stress, financier, physique et un stress mental énorme. Ces trois stress mènent à des maladies, des dépressions, des suicides. C’est un drame humain qu’on vit dès qu’il pleut. Même si ce n’est pas inondé, à chaque fois, on ne dort pas et on est sur le stress. »

Une ligne d’urgence spécifique pour les sinistrés pourrait être mise sur pied à la suggestion de la Ville.

« Au départ, les gens appelaient au 311, les gens étaient débordés. Le support de 811 ne suffisait pas non plus. La demande a été aussi faite pour un plan d’urgence de première ligne. Il y a deux ans, des gens n’ont pas pu être servis par le service ambulancier. Une ambulance a dû rebrousser chemin et quelqu’un est décédé. La Ville elle-même a une responsabilité au niveau social. Ç’en fait partie. C’est une priorité. »

La Ville à l’écoute des citoyens

M. Lépine peut se réjouir que des discussions soient en cours avec la Ville.

« C’est très nouveau, depuis un mois. Il y a eu un rapprochement qui semble être très positif. J’ai reçu un appel de Jean Lamarche. Je lui donne le bénéfice du doute quand il dit qu’il a à cœur ce dossier-là, qu’il est dans la sympathie la plus profonde. À partir de cette discussion-là, j’ai exigé d’avoir une réunion face à face, qui a duré deux heures avec Jean Lamarche et le directeur général de la Ville. J’ai mis la table sur tous les problèmes qu’on vit depuis 12 ans. On me dit que l’intention est là mais que ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je comprends. On a convenu qu’on aurait des réunions régulières et que les citoyens seraient impliqués dans les futures décisions. Je sais qu’ils ont beaucoup de choses à faire. Mais quand le maire me dit:  »Vous êtes prioritaires », il faut être prioritaire. Il semble y avoir maintenant une volonté politique. »

Les citoyens touchés à répétition songent à demander une réduction de taxes, une option difficilement envisageable pour la Ville. Mais M. Lépine pense à une autre façon de compenser et d’aider les sinistrés.

« On va demander soit une compensation ou, par exemple, des subventions pour mettre les installations à jour dans nos maisons pour réduire les problèmes, ce qui réduirait les réclamations. La Ville bénéficierait aussi de cette solution-là. »