« Projet Polytechnique »: le théâtre pour pousser la réflexion plus loin

Quelles sont les répercussions de la tuerie de l’École Polytechnique, le 6 décembre 1989, où 14 étudiantes ont été tuées? C’est là-dessus que se penche la pièce de théâtre documentaire Projet Polytechnique qui sera présentée à la salle J.-Antonio-Thompson le 23 avril à 19h.

« On ne peut pas être insensible à cet événement. J’avais 14 ans à l’époque et ça m’a profondément marquée. On a voulu amener une trame de compréhension des impacts qui en ont découlé. C’est dur de faire ce qu’on a fait, mais on a aussi voulu en faire une pièce digeste et poétique, affirme Marie-Joanne Boucher, auteure, idéatrice et comédienne. Ça dure 2h50 avec entracte, mais le public ne s’ennuie pas. Un peu comme pour un true crime, tu as envie de savoir la suite. Il y a des hooks qui donnent envie d’en comprendre davantage.On est beaucoup dans les questionnements. »

La distribution regroupe les comédiens Stéphan Allard, Mustapha Aramis, Lamia Benhacine, Marie-Joanne Boucher, Jean-Marc Dalphond, Estelle Esse, Julie McInnes, Jules Ronfard et Cynthia Wu-Maheux.

Il y aura également une représentation scolaire le 23 avril à Trois-Rivières. Mme Boucher se réjouit de voir les jeunes s’intéresser au propos de la pièce. « Depuis le début des représentations, on voit que les étudiants se passent le mot. À Saint-Hyacinthe dernièrement, il y avait une centaine de jeunes dans la salle lors de la représentation du soir parce que ça s’était parlé sur les réseaux sociaux, note-t-elle. Je pense que ça leur parle beaucoup, car il y a de la violence en ligne. Certains n’ont peut-être jamais entendu parler du féminicide de l’École Polytechnique, mais ils sont au courant des incels, de la misogynie, etc. »

Cinq ans de recherche

C’est Jean-Marc Dalphond qui est entré en contact avec Marie-Joanne Boucher à la suite d’une publication sur les réseaux sociaux en lien avec la tuerie de l’École Polytechnique. Il lui a alors raconté que sa cousine était l’une des victimes de la tuerie.

« Ce qu’il m’a dit m’a fait réfléchir. En faisant des recherches, je suis tombée sur le parcours de sa mère qui a été une militante à la suite de cet événement. Elle a fait la tournée des universités du pays pendant dix ans pour réhabiliter l’histoire de chacune de ces filles et pour demander un meilleur contrôle des armes à feu. Je l’ai trouvée inspirante », raconte Mme Boucher.

Elle a également été renversée lorsque Jean-Marc Dalphond lui a confié avoir reçu de la haine sur Twitter (aujourd’hui X) quand il avait publié les noms des victimes le 6 décembre de cette année-là. « Je pensais que ces filles étaient intouchables! Pour moi, c’est impensable que des gens viennent dire qu’elles l’ont mérité, qu’il y ait des gens qui pensent comme ça. J’ai été habitée par la mission de comprendre ce qui fait en sorte qu’on puisse penser comme ça. Même après cinq ans de recherche, j’ai de la misère à comprendre. Le spectacle vient lever le voile sur des ramifications à plusieurs endroits », explique-t-elle.

Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher ont eu l’idée de Projet Polytechnique. (Photo Mériol Lehman)

La pièce de théâtre documentaire Projet Polytechnique est née de toutes ces recherches dans les mouvements « incels », notamment. « Ce sont des gens très endoctrinés, misogynes et anti-féministes. C’est prouvé que Marc Lépine est le premier incel. Ils sont une communauté d’hommes dans le monde à l’appeler le Prophète, indique Marie-Joanne Boucher. On a eu une approche journaliste dans nos recherches. On donne aussi la parole à ceux qu’on ne comprend pas. »

Au fil du processus, elle s’est trouvée aux premières loges de cérémonies de commémoration de la tuerie, de la remise d’une médaille aux victimes de façon posthume. « On était avec les familles. On a vécu des choses humainement qui vont au-delà du spectacle de théâtre ou du fait d’écrire une pièce. C’est une aventure qui a marqué cette période de ma vie et toute l’équipe d’acteurs qui se sont greffés au projet le vit avec nous chaque soir ».

La pièce permet d’aborder plusieurs questions. Est-ce que d’autres mots manquent à notre vocabulaire pour comprendre comment la haine naît et se propage? À l’ère des algorithmes, de la désinformation et des médias sociaux, quels sont les concepts qui nous aideront à cerner la violence et à lutter contre elle?

Une connexion particulière avec le public

Sur scène, les comédiens et auteurs Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher mènent leur enquête et retournent toutes les pierres pour mesurer les conséquences du féminicide de la Polytechnique. 

« Avec ce spectacle, je vis une connexion avec le public comme je ne l’avais jamais vécue. Je ne pense pas la revivre un jour non plus. Il y a quelque chose de l’ordre de l’événementiel. Est-ce un spectacle ? Un essai? On pose une réflexion. On est au service d’une cause quelque part. Ça laisse des traces, mais de belles traces. Oui, ça nous brasse en dedans, mais à la bonne place. C’est une occasion d’aller à la rencontre de l’autre », témoigne Marie-Joanne Boucher.

En ce sens, l’auteure et comédienne est convaincue que le théâtre documentaire a un grand impact. « Ce qui est intéressant, c’est que chaque mot qui est dit sur scène, rien n’est inventé. On donne la parole et ce sont les acteurs qui vont jouer des personnages. Je pense que le théâtre documentaire a un plus gros impact, car on est tous ensemble dans la même salle de façon live. Les spectateurs prennent trois heures de leur vie pour venir réfléchir avec nous et ça m’émeut énormément. On prend le temps d’être ensemble et de réfléchir à ces enjeux cruciaux. »

« Le fait de venir dans la salle et réfléchir avec nous, c’est déjà une piste de solution, plutôt que de faire comme si ça n’existait pas. Le premier rempart pour qu’une tuerie comme celle de Polytechnique ne se reproduise pas, c’est de savoir », conclut-elle.

Les billets pour assister à Projet Polytechnique sont en vente à la billetterie de la salle J.-Antonio-Thompson (819 380-9797) et en ligne au www.culture3r.com.