Partir à la recherche des familles les plus vulnérables et isolées

Il y a un an se mettait en branle un grand chantier découlant d’une recommandation de la commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Le but: identifier et soutenir les familles les plus vulnérables et isolées au Québec. Le ministère de la Famille finance pendant trois ans deux projets pilotes à Trois-Rivières…et les effets bénéfiques se font déjà sentir!

On vise à évaluer les retombées du travail de proximité auprès de ces familles. Deux Maisons des familles de Trois-Rivières ont voulu se concerter avant de déposer leurs projets, raconte la directrice générale de la Maison des familles Chemin du roi, Marie-Agnès Lebreton.

« On a réfléchi et on a convenu de travailler avec la Maison des familles du Rivage. Le concept de travail de proximité est en développement. On y va selon ce qu’on observe, on se challenge sur certains points. Nos deux travailleuses de proximité sont en lien. Les deux projets évoluent et font écho l’un et l’autre en étant différents. »

Les travailleuses de proximité sont de nouvelles ressources embauchées spécifiquement pour les projets pilotes. Leur rôle consiste à identifier des familles vulnérables qui ne font pas appel aux ressources existantes pour toutes sortes de raisons, notamment parce qu’elles n’en connaissent pas l’existence.

« La travailleuse de proximité va à la rencontre des familles plus isolées de façon à voir ce dont elles ont besoin, à les accompagner vers les ressources. Elle les identifie dans les dépannages alimentaires, les festivals, aux tables de concertation. Elle va dans les parcs l’été rencontrer des familles qu’on ne voit pas dans le réseau des organismes. C’est un filet de sécurité d’avoir cette personne-là qui peut être contactée à tout moment. »

Mme Lebreton constate que ce projet pilote a fait évoluer les façons de penser au sein de son organisme.

« Ç’a changé le paradigme de la façon dont on perçoit la mission. On doit rejoindre les familles plutôt qu’offrir des services. On n’attend pas les clients qui viennent cogner à la porte. Notre approche c’est d’aller davantage vers les familles pour qu’elles sachent qu’on existe, qu’il y a une ressource quelque part. »

Familles rejointes

À Trois-Rivières, près de 150 familles ont été accompagnées jusqu’à maintenant. « Nous avons rejoint 95 familles dont beaucoup issues de l’immigration, qui sont allées vers 36 organismes trifluviens. Ç’a permis d’apprivoiser des gens particulièrement vulnérables dans des situations particulièrement complexes, qui ne voulaient pas frapper à la porte des organismes. »

« On a aidé 53 familles, note de son côté la directrice générale de la Maison des familles du Rivage, Julie Grimard. C’est difficile de quantifier mais on sait qu’elles ne se seraient jamais tournées vers un autre service. »

La population des territoires desservis par les deux Maisons des familles n’a pas les mêmes besoins.

« Nous avons repéré des mamans anglophones particulièrement isolées, observe Mme Lebreton. Trois-Rivières est très francophone. On s’est rendu compte qu’il y avait très peu de services pour ces familles qui parlent anglais et qui sont peu confortables d’aller vers les services. On a développé une activité parents-enfants en anglais pour que les mamans puissent échanger. Une de ces mamans, isolée, vivait des difficultés avec un petit garçon qui représente des défis. En ayant été approchée elle est venue à la Maison des familles. Son garçon a obtenu des services d’évaluation, est entré à l’école, a eu du support du centre de réadaptation. Cette maman, c’est elle qui anime le groupe parents-enfants maintenant. Ça c’est un success story. »

Parallèlement à cette réalité anglophone, plusieurs nouveaux arrivants s’établissent dans le Bas-du-Cap.

« Une belle grappe de familles avaient des besoins mais n’utilisaient pas les ressources ou tombaient entre deux chaises, indique Mme Grimard. Il y a un bon pourcentage de familles immigrantes qui vivent l’isolement qui ont des enfants de 0 à 5 ans avec une vulnérabilité. Ici, elles se retrouvent seules, séparées de leur grande famille, elles manquent de points de repère. Elles ont été référées par l’école. »

Paradoxalement, la langue ne constituait pas un obstacle pour ces familles. « Les immigrants sont plutôt francophones et ils sont capables de se faire comprendre. Les enjeux sont davantage dans la compréhension des règles de sécurité, du transport en commun, de se trouver un logement adéquat, du matériel pour le meubler. « 

Appui de l’UQTR

Une équipe de l’Université du Québec à Trois-Rivières, en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais, a reçu le mandat de soutenir les 50 organismes des 13 régions du Québec.

« On accompagne les travailleurs de proximité et les gestionnaires de ces organismes porteurs, explique le chercheur Carl Lacharité du Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et la famille de l’UQTR. C’est une nouvelle fonction, un nouveau rôle qu’ils introduisent dans leur organisation. »

L’équipe qu’il supervise produira un rapport d’évaluation à l’automne 2025.

« L’évaluation de l’ensemble de ces projets pilotes vise à documenter ce que les organismes vont avoir développé comme stratégies, comme actions. Ils essaient des choses, certaines fonctionnent bien, ils consolident des outils qu’ils ont mis en place. Le mandat de l’équipe d’évaluation, c’est de dire qu’est-ce qu’on veut maintenir et déployer à plus grande échelle. On s’adresse au ministère de la Famille mais aussi au Conseil du trésor. L’autre mandat est de dire quelles sont les conditions organisationnelles et concertées dans un territoire qui doivent être mises en place si ce déploiement doit se faire et quelles sont les meilleures pratiques du travail de proximité. »

M. Lacharité est déjà frappé par le dévouement qu’il observe. « L’engagement des organismes, des personnes, à faire en sorte de répondre aux besoin des familles qui se retrouvent isolées, c’est une forme d’engagement fantastique. Je trouve ça bon signe. »