« On veut un code du logement »
Les données compilées partout au pays par la Société canadienne d’hypothèque et de logement en 2023 sont préoccupantes et mêmes alarmantes en Mauricie où le taux d’inoccupation des logements locatifs se situe bien en deçà de la moyenne canadienne de 1,5 %. Le taux le plus bas au Canada, soit 0,4 %, est observé à Trois-Rivières. Shawinigan suit de près avec 0,6 %.
InfoLogis Mauricie est un organisme régional de défense des droits des locataires. Pour sa directrice générale, Claude Jalette, l’inaction des gouvernements municipaux et provincial expliquerait la situation particulièrement peu enviable de la région.
« On est en retard. Il y a eu plusieurs conseils municipaux pendant plusieurs mandats qui nous ont ralenti. Il faut tirer la sonnette d’alarme mais c’est plus large que juste le taux d’inoccupation. C’est le fait qu’il y a eu un manque d’offre dans les cinq ou six derniers mandats. On veut le soutien des municipalités par rapport à des phénomènes liés à l’inflation et au manque d’offre qui fait que la demande est en hausse. »
Le nombre de mises en chantier résidentielles n’augmente pas assez vite pour aider les locataires à se sortir la tête de l’eau, estime-t-elle.
« On ne peut pas nier le désir de Trois-Rivières d’élaborer des projets, on en a une dizaine en attente, sauf que ce n’est pas suffisant. On parle d’un mouvement migratoire des grandes villes vers Trois-Rivières et Shawinigan qui est beaucoup plus accéléré que les levées de terre. Je sens que les gens veulent travailler sur des projets, mais les municipalités n’ont pas encore beaucoup de pouvoir pour s’assurer d’avoir un nombre de chantiers vraiment rassurant. »
Les augmentations moyennes de loyer sont particulièrement élevées dans la région: 12,3 % à Shawinigan, 10,2 % à La Tuque et 8,7 % à Trois-Rivières.
« On a un territoire qui a un revenu moyen très bas. N’importe quel locataire qui n’a pas le revenu pour se payer un logement à 1 000 $, ou entre 800 $ et 1 500 $ quand ce sont des nouvelles habitations, va se retrouver dans des périodes assez angoissantes. On le sent en défense de droits, ce sont nous qui recevons les appels des gens les plus vulnérables. C’est de plus en plus la classe moyenne qui est atteinte. »
Un projet de loi controversé sur les cessions de bail
Le gouvernement provincial devrait mettre plus d’efforts sur le logement social pour accélérer le rattrapage à faire, selon Mme Jalette.
« Il faut arrêter de voir le logement social comme un programme social. Ç’a des retombées économiques d’injecter de l’argent dans les logements sociaux. Pour nous, c’est la clé. Peut-on revigorer le bien-être collectif, l’économie, s’assurer que les gens ne s’enfoncent pas, les femmes monoparentales, les personnes seules, les personnes âgées? On a 7 000 portes en Accès Logis encore manquantes au Québec. On est sur un programme d’habitation abordable qui ne fonctionne pas. On devrait élaborer différemment le projet de loi 31. »
Ce projet de loi, sur le point d’être adopté, permettra notamment aux propriétaires de refuser une cession de bail sans raison valable. En résiliant plutôt le bail, le propriétaire pourra augmenter le loyer du prochain locataire.
« On retire le motif sérieux. C’est vraiment banaliser le filet social, le droit aux citoyens de se soutenir. C’est fondamental comme décision. On voit de plus en plus d’entreprises à numéros prendre possession des portes. Ce sont de moins en moins de petits propriétaires. Le petit propriétaire, il n’a pas de problème avec une cession de bail. Une grosse entreprise va juste refuser. Plus il y a un roulement de locataires, plus il y a l’augmentation des prix. »
La directrice générale d’InfoLogis Mauricie n’est pas tendre à l’endroit de la ministre de l’Habitation du Québec, France-Élaine Duranceau, qui n’a pas voulu rencontrer les responsables de l’organisme lors de son récent passage à Trois-Rivières.
« Je suis très déçue de la position de la ministre. Ce sont des gens qui n’ont pas de sensibilité envers les plus vulnérables qui s’enfoncent de plus en plus dans des problèmes. Les gens qui nous appellent, leur situation est réelle. On entend des gens dire qu’ils ne voudront plus aller se défendre au tribunal par peur d’être profilés. C’est du protectionnisme qu’on veut. »
84 évictions forcées en un an
Mme Jalette pointe également l’augmentation du nombre d’évictions par des propriétaires qui ne respectent pas les lois en place.
« On est aux premières loges de l’augmentation des évictions. À Trois-Rivières, en un an, on a eu 84 évictions forcées. Pas des évictions pour non-paiement. Sans parler des reprises de logements qui n’ont pas été suivies par le municipal. Ils délivrent des permis, mais après, on ne sait pas si quelqu’un a vraiment fait des travaux. »
Une dizaine de locataires ont dernièrement été évacués d’un immeuble à logements sur la rue Saint-Olivier en raison de plusieurs non-conformités qui représentaient un danger pour leur sécurité.
« On demande un moratoire sur les évictions. On désire des comités plus actifs pour s’assurer qu’on n’évince pas des gens pour insalubrité. Ça n’avait pas de sens qu’on ferme ça en hiver. Il faut s’assurer qu’on ne laisse pas filer des propriétaires qui négligent leurs bâtiments. Ce n’est pas comme si ce bâtiment n’était pas connu à Trois-Rivières. »
En construisant de nouvelles habitations, est-ce que les promoteurs immobiliers visent trop la clientèle plus aisée au détriment de celle moins favorisée?
« Dans les dernières années, ça a été plus facile de bâtir du luxueux que de restaurer des bâtiments qui sont fermés pour insalubrité. Donc, on a des portes qui pourraient être rouvertes. On pourrait se faire des fonds de rénovation, des fonds d’urgence pour assurer qu’il n’y ait pas des gens qui se font mettre dehors. Il y a beaucoup de bâtiments problématiques en Mauricie qu’on connaît déjà. On a des propriétaires délinquants, récidivistes. Il n’y a pas de réelle réglementation. On veut un code du logement. On pense que les municipalités seraient bien placées pour nous soutenir là-dedans. »