La Halte douceur: un toit pour l’hiver

Cet hiver, l’organisme Point de rue a déployé sa Halte douceur de façon plus importante que l’an dernier. Un nouveau local, situé plus près du centre-ville, peut accueillir un plus grand nombre de personnes en situation d’itinérance. Le refuge se veut complémentaire à l’offre des autres ressources à Trois-Rivières.

Les besoins semblent déjà justifier l’expansion du service pour sa deuxième année d’opération.

« J’ai entre 20 et 35 personnes chaque jour, indique le coordonnateur de la Halte douceur chez Point de rue, Jean-Félix R. St-Germain. Avoir plus d’espace permet une meilleure cohabitation. On a 23 lits et ils sont tous réservés. Les gens ne sont pas obligés de venir chaque soir. On essaie de garder une espèce de liberté. Dans notre vie on a le droit d’avoir des amis, d’aller faire un tour chez quelqu’un puis de découcher. Le lendemain on n’a pas perdu notre maison pour autant. »

« Cette espèce d’obligation-là pour les gens de devoir aller dans les refuges pour ne pas perdre leur place, ça devient comme un stress, ajoute-t-il. Quand ils viennent en se sentant obligés, c’est ça qui amène plus de tension. En sentant qu’il y a une sécurité au moment où ils ont besoin d’être là, ils peuvent venir. Ç’a aidé à créer un sentiment d’appartenance. Les gens se sentent chez eux, ils participent à l’entretien de la place et au maintien de celle-ci. »

Si quelques lits peuvent ainsi être parfois libres, on ne refuse personne.

« On reste ouvert à l’intérieur avec des divans, des chaises. Je ne laisserai personne dehors. Il faut comprendre que si on est plein ici, ça veut dire qu’il y a de la place dans les autres refuges. L’important, c’est qu’ils ne soient pas au froid. »

Avec la Halte douceur, Point de rue offre un hébergement d’urgence de type « bas seuil », soit un accueil inconditionnel, sans critères particuliers pour accéder au dortoir.

« Les trois principales raisons pour lesquelles les gens ne vont pas dans certains refuges, ç’a été documenté: les couples n’ont pas le droit de vivre en couple, les gens qui ont des animaux n’ont pas le droit de rentrer avec les animaux, puis les gens en état de consommation n’ont pas le droit de rentrer. Ces trois choses sont permises ici. Mon objectif c’est aller chercher les gens qui continuent à être dehors malgré qu’il y ait une offre de service. Je ne voulais pas dédoubler un service qui existait déjà, c’est une complémentarité avec les deux autres services d’urgence qui existent à Trois-Rivières. Mon seul critère, ou à peu près, c’est le respect. Si tu es vraiment chaud mais que tu n’es pas dérangeant, ce n’est pas un problème. Autant que si tu es à jeun mais irrespectueux, ça devient un problème. Il y a des gens qui ont besoin de plus de structure, qui ne vont pas se sentir bien chez nous et il y en a qui ont besoin de plus de liberté et qui fonctionnent vraiment mieux ici. Je pense que ça s’équilibre naturellement avec le temps. »

La Halte douceur est en fonction de 20 h à 8 h. En soirée, les bénéficiaires peuvent prendre une douche, utiliser la buanderie et manger un repas.

« Nos intervenants sont aussi sur place en soirée. On a accès à Prime, Netflix, Disney pour écouter la télé. Comme l’an passé on a encore certaines animations faites par la Caravane philanthrope qui vient faire des ateliers de cirque. »

Cohabitation avec la communauté

Le déplacement de la Halte douceur a été possible grâce à une certaine acceptabilité des résidents et commerçants autour du local choisi.

« C’est aussi un propriétaire de bâtisse commerciale qui avait l’ouverture de nous le louer, un propriétaire qui accepte qu’on fasse ça dans ses locaux. C’était quand même un défi. On travaille très fort avec la communauté autour, avec nos voisins, parce que c’est sûr que ça peut créer certaines inquiétudes qu’on soit là. Ç’a créé plus de peur que de réel mal. On est très à l’écoute et je pense qu’on a une belle ouverture de la part de la communauté. Finalement ils se rendent compte que quand tu prends le temps de parler et que tu t’attardes aux individus, on est tous égaux. C’est juste qu’il y en a qui ont des situations de vie plus difficiles que d’autres. »

Le propriétaire de l’édifice qui abrite la Halte douceur, Yves Bécotte, se surprend même, lorsqu’on lui demande s’il avait des appréhensions à ce que son local devienne un dortoir accueillant des personnes en état d’itinérance.

« C’est un locataire comme un autre. Mais moi je trouve que je n’avais pas le choix. Je les voyais passer devant ma fenêtre depuis cinq ans, depuis que j’ai acheté l’immeuble. Il y a de l’adaptation à faire la première année, mais on a tous une responsabilité là-dedans. »

M. Bécotte, sensibilisé au phénomène de l’itinérance, constate l’ampleur que prend le problème, partout au pays.

« Au début décembre, il y avait 100 itinérants à Sept-Îles: il n’y en avait jamais eu avant. À Sudbury il y a 300 itinérants. Ils n’ont pas de place où aller, ils vont carrément s’installer dans l’entrée des commerces. Il y en a que c’est juste parce que les loyers sont trop chers et qu’ils se sont fait évincer, jeter en dehors de leur logement. Ce n’est pas dans toutes les villes comme ici où ils sont logés la nuit en plein hiver. Je trouve ça un peu stupéfiant. »

Si la majorité des voisins de la Halte douceur s’accommodent bien de la présence du refuge, une locataire d’un local commercial de l’immeuble de M. Bécotte a préféré déménager.

« C’est un dommage collatéral, je m’y attendais. Au début, certains peuvent être réticents. Pourtant, pendant toute le journée, rien ne se passe, ça ne peut pas être nuisible. »

M. Bécotte entend tout de même continuer de lutter contre le syndrome « pas dans ma cour ».

« Tu ne peux pas repousser les itinérants à l’extérieur du centre-ville. Ils sont présents depuis toujours. »

Selon lui, le gouvernement accorde déjà des sommes considérables pour lutter contre l’itinérance mais doit continuer ses interventions en amont.

« La construction de logements sociaux ne va pas assez vite. Le gouvernement doit faire plus d’efforts. »

Entre-temps, la Halte douceur poursuit sa mission jusqu’au début avril et continue d’offrir un toit à ceux et celles qui en ont le plus besoin.