Des entreprises de la région fragilisées par le remboursement des prêts d’urgence de la pandémie

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) doit se rendre à l’évidence: le gouvernement fédéral n’accordera pas de délai supplémentaire aux entreprises pour rembourser le prêt du CUEC (Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes) donc l’échéance est fixée au 18 janvier.

À l’instar du Bloc québécois et de plusieurs Chambres de commerce du Québec notamment, la FCEI réclamait qu’Ottawa accorde plus de temps aux PME afin de s’acquitter de cette dette sans perdre la portion subvention de l’aide financière. Des 900 000 propriétaires d’entreprises, seulement 10 % auraient déjà remboursé les sommes dues tandis que 72 % affirment qu’ils ont besoin de plus de temps pour rembourser leur prêt.

Après des discussions avec des représentants des milieux économiques, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, affirme que de nombreuses entreprises de la région éprouveraient des difficultés pouvant aller jusqu’à la fermeture étant donné le contexte économique actuel.

« Lorsqu’une entreprise a de la misère à remettre 40 000 $, vous pouvez supposer que ce n’est pas sa seule dette. Et quand elle va renouveler, elle va se retrouver avec un taux d’intérêt plus élevé qui va faire très mal aux finances de l’entreprise qui est déjà en train d’essayer de se remettre d’une crise précédente. À ça s’ajoute la pénurie de main-d’œuvre qui crée une pression sur des salaires plus élevés. C’est la tempête parfaite avec des dizaines de milliers d’entreprises menacées de fermer, des centaines d’entreprises dans la région ici menacées de fermer. »

Ne pas pouvoir rembourser à temps

À Trois-Rivières, le propriétaire des restaurants Thaizone des secteurs Cap-de-la-Madeleine et Trois-Rivières-Ouest, Patrick Duchesneau, ne sera pas en mesure de rembourser l’intégralité du prêt avant la date d’échéance. Il doit donc faire une croix sur la portion non-remboursable du CUEC.

L’extension du délai accordée par le gouvernement du 31 décembre au 18 janvier ne l’aide pas du tout. « C’est comme donner un cent de pourboire. Ça ne change rien », illustre-t-il.

Il est résigné à rembourser sur une plus longue période la totalité de l’aide financière qui a été versée à son entreprise, en fondant de l’espoir sur une reprise économique pour la saison estivale.

« J’espère qu’on va réussir à passer à travers l’hiver et le printemps, même si janvier et février ne seront pas faciles. J’espère que l’économie va reprendre cet été, sinon ce sera peut-être une faillite ou une fermeture à l’automne. »

En période économique difficile, les consommateurs coupent d’abord dans les produits de luxe comme la restauration. Il se considère chanceux de ne pas opérer un restaurant haut de gamme où les clients se permettent des repas plus somptueux pour s’offrir un petit plaisir.

« On reste quand même une option intéressante à moins de 20 $ pour des travailleurs ou des gens qui, de temps en temps, n’ont pas le goût de cuisiner. »

Le remboursement de cette dette n’est pas la seule préoccupation financière de M. Duchesneau qui doit déjà composer avec une explosion des coûts d’exploitation liée à l’inflation. « Il y a des limites à augmenter le prix d’un plat ou à en réduire la portion. »

Il anticipe une augmentation du salaire minimum qui aurait un impact non-négligeable sur la masse salariale de son entreprise. « Sur 40 employés, 99% sont au salaire minimum parce que ce sont des étudiants. »

M. Duchesneau rappelle les difficultés qu’ont vécues les restaurateurs durant la pandémie: nombreuses fermetures et réouvertures, pertes de nourriture. Ses établissements ont pu offrir du prêt-à-manger à emporter ou en livraison, mais encore là, il considère que des services comme Uber Eats ou Skip prennent trop de place.

Le portrait dans Mékinac

La Chambre de commerce de Mékinac a eu l’occasion de faire des représentations auprès des milieux politiques, indique la directrice générale, Geneviève Morin.

« On en a fait avec la Fédération des Chambres de commerce. On a fait des pressions puis des lettres pour montrer la pertinence de notre point. Mais la décision, elle est prise. Le gouvernement veut se détacher de ce lien de prêt avec les entreprises, ce qu’on comprend, mais on aurait aimé qu’il épaule un peu plus les entrepreneurs au niveau des modalités de paiement, de dire qu’il y a peut-être un plus petit montant par année qui pourrait être remboursé. »

Geneviève Morin, directrice générale de la Chambre de commerce de Mékinac. (Photo courtoisie)

Mme Morin entrevoit des difficultés pour certains petits entrepreneurs, mais n’irait pas jusqu’à dire que des entreprises du territoire sont en danger à ce moment-ci.

« En danger, ce n’est pas le terme que j’utiliserais. La plupart vont réussir à trouver une façon de rembourser les 40 000 $, sinon ils perdent 20 000 $ de subvention. Il y en a qui vont mettre ça sur leur hypothèque personnelle, sortir leurs REER ou prendre leur CELI. Mais ce qu’on voit, c’est un peu de découragement. Ça devient lourd dans le chapeau d’entrepreneur de dire  »J’ai mon entreprise où personnellement j’ai une dette de 40 000 $ que je vais assumer. »

Emprunter pour rembourser un prêt au gouvernement peut causer un manque de liquidité qui freine le développement des commerces. « Un paiement à 1300 $ par mois, ça vient de t’enlever ton projet de refaire ta terrasse, de peinturer ton extérieur ou d’essayer de nouvelles choses. »

Elle-même propriétaire d’une entreprise, le Resto-bar Le Bridanon, Mme Morin devra se serrer la ceinture pour faire face aux modalité de remboursement de son institution financière.

« Je me suis fait offrir le maximum de temps, c’est-à-dire trois ans, à 10,65  % d’intérêt. Ça fait quand même 15 000 $ par année à rembourser. Tu ne peux même pas mettre ça sur sept ans ou cinq ans. Puis, il y en a qui se font carrément refuser un prêt. Ça fait qu’ils vont avoir une dette de 60 000 $ au gouvernement à 5 %. Eux, ça va les mener à la faillite. »

C’est sans compter les autres sacrifices qui sont la réalité quotidienne des entrepreneurs.

« Les gens se disent:  »J’aime mon entreprise, j’aime ce que je fais, mais là par contre, je travaille dans le vide, je travaille pour rembourser des dettes. Je n’ai plus de vie et j’ai de la misère à payer mon épicerie ». C’est directement le salaire qui est touché, donc ça tombe dans la vie personnelle. C’est là que j’y vois un danger. »

Mme Morin s’inquiète pour l’avenir de l’entrepreneuriat en région. « Sur le territoire de Mékinac, majoritairement, ce sont des travailleurs autonomes ou des petites PME de cinq employés. La crainte c’est que d’ici cinq ans, même peut-être plus rapidement que ça, il y aura un désintérêt à l’entrepreneuriat tout court. C’est aussi la crainte de dévitaliser parce que si tout le monde se met à fermer sa petite boutique, son petit resto, c’est ça le cœur d’un village: les boutiques, maraîchers, producteurs et tous les petits événements qui sont touchés par ça. »

Des entrepreneurs pourraient être tentés de réintégrer le marché du travail en tant qu’employés, poursuit-elle.

« Je pense que rapidement les gens vont se désintéresser. La pénurie de main-d’œuvre amène des salaires quand même élevés. Tu vois des offres d’emploi passer à 30 $ l’heure, tu te dis:  »Moi je travaille, il ne m’en reste pas beaucoup dans les poches pour tout ce que je fais, tout le temps que j’y mets. Je pourrais aussi aller travailler. » »

Comme entrepreneure, Mme Morin est à même d’observer le contexte économique postpandémique.

« Je me suis dit je vais arrêter de me payer puis je vais donner plus à mes employés sinon je vais les perdre. En 2020 mes meilleurs employés gagnaient peut-être 16 $ l’heure, c’était un très bon salaire, mais présentement c’est le salaire minimum. Pour plusieurs entreprises l’enjeu c’est le profit qui va rester. On paye les salaires qui ont presque doublé, les coûts d’opération ont presque doublé aussi, ça fait que le timing pour rembourser ça, il est moyen. Et on n’est pas relancé à 100 %. »