Carmen Dess: toute une vie consacrée à la musique

Elle est née dans une famille où la musique a fini par prendre beaucoup de place. Comme ses trois sœurs, elle a suivi les traces de son père. Carmen Dessureault, « la petite », la plus jeune de la famille, continue de donner des spectacles plusieurs décennies après être montée sur scène pour la première fois à l’âge de cinq ans.

Dès leur plus jeune âge, les quatre filles de Clément « BB » Dessureault démontraient un attrait pour les instruments de musique de leur papa.

« Mon père avait un orchestre. Il jouait du saxophone, du violon, de l’orgue, de l’accordéon, de la guitare. Tout par oreille. Il avait dit à maman qu’il ne voulait pas que les enfants touchent à ses affaires, c’était du stock professionnel. Un jour, ma mère ne l’a pas vu arriver. On a entendu mon père demander:  »Qui joue de l’accordéon? » C’était Renée, ma sœur la plus vieille.  »Je vais l’amener dans mon orchestre. » Donc, Renée est embarquée avec lui. Pas longtemps après, Michèle est arrivée, elle jouait de la guitare. Les musiciens qui jouaient avec mon père se sont tassés. Quand Francine est arrivée, le dernier des gars a dit:  »Ça vient de son sonner mon glas » et c’est devenu la Famille Dessureault. »

Au fil des années, la Famille, puis les Sœurs Dessureault, maintiennent une bonne réputation d’artistes professionnels et appréciés du public. Elles ont donc conservé longtemps des engagements réguliers dans plusieurs établissements, comme l’Hôtel Desmarais de Portneuf, ou le Pépito bar de Victoriaville, où elles ont chanté pratiquement toutes les semaines, trois soirs par semaine, pendant sept ans et demi.

« 48 fins de semaine par année au Pépito bar, deux semaines au Festival Western de St-Tite et deux semaines en vacances à Acapulco, c’était notre contrat annuel. Il fallait prendre les vacances ensemble, les sœurs, les maris, tout le monde. C’était notre vie: la musique passait toujours avant. On a fait une belle vie, familiale, et on s’est toujours bien entendues. »

C’est durant ce contrat, en 1976, que leur père décède subitement à l’âge de 54 ans. Les sœurs ne se sont pas vraiment accordées de pause avant de reprendre le travail.

« Ça n’a pas été facile. Il ne fallait pas trop regarder dans la salle: tout le monde pleurait. »

Carmen a certainement été influencée par son père sur la relation qu’elle entretient avec le public.

« Il était drôle et il aimait le monde. Je pense que c’est ce que je retiens de lui. Je lui ressemble là-dessus: on aime le monde, c’est naturel. J’aime le monde encore autant qu’avant. Pour moi, tout le monde est important, que tu sois éboueur ou docteur. »

La Famille et les Sœurs Dessureault ont enregistré 18 albums, occupé les premières positions des palmarès radiophoniques et présenté des spectacles partout au Québec. Carmen a chanté 33 fois au Festival western de Saint-Tite dont 29 fois avec ses sœurs.

Pour durer aussi longtemps, il faut savoir s’adapter. Ainsi, on retrouve presque de tout dans leur répertoire: country, western, rétro, disco, pop, folklore.

Parallèlement aux spectacles qu’elle donnait avec ses sœurs, Carmen occupait un emploi de fonctionnaire au ministère des Transports. Aujourd’hui dans la soixantaine, elle a quelque peu ralenti le rythme ces dernière années, mais elle est toujours active, pour le plaisir. Elle chante dans des festivals, pour des levées de fonds, des organismes et des institutions de santé.

« Avant la pandémie j’avais déjà commencé à ralentir. Ça m’a fait apprécier la vie à la maison. Je prends plus le temps de vivre. Des soirées jusqu’à 3 h du matin, je n’en fais plus. Ma vie est gagnée. Je suis chanceuse de pouvoir faire ça encore. Je fais des spectacles dans des résidences, des RPA, pour les CIUSSS. Ça me garde en vie, c’est pour ça que je continue. Je revois le monde qui nous ont vus quand on était jeunes. Il y en a qui me disent « T’as chanté à mes noces ». Le monde se souvient de nous et ce sont tous de bons souvenirs. Je dis souvent à mes sœurs qu’il y a plein de monde qui les salue! »

Quand chanter fait du bien

Carmen est à même de constater que la musique possède des effets insoupçonnés sur la mémoire, même sur celle des personnes malades. « Ils ont tous des souvenirs. Tu les vois tous chanter, même ceux qui ont l’Alzheimer. Pour moi ça vaut un million. »

Certains moments très émouvants se produisent durant ses tours de chant, comme lui en témoignent des familles de résidents et des bénévoles des établissements.

« Je ne connais pas tous leur état, ça ne paraît pas tout le temps. Une dame était avec son fils. J’ai chanté Rossignol de mes amours de Luis Mariano. Cette madame-là, elle ne parlait plus, mais elle a dit à son gars:  »C’est la chanson de ton père ». Il la regardait en voulant dire oui, mais il pleurait. »

« À Cloutier pour un dîner de Noël, je me promenais sur les étages. Je savais que c’était la zone Alzheimer. Les gens sont près, je joue avec un petit moniteur. Une dame, qui ne me regardait pas du tout, mangeait tranquillement. Quand j’ai commencé à chanter, elle a déposé ses affaires, elle a levé les yeux et elle a chanté avec moi. Les employés, surpris, prenaient des photos. Ils m’ont dit:  »On ne l’a jamais vu lever les yeux, elle n’a jamais dit un mot, elle n’a jamais eu une réaction. » Quand la chanson a été finie, ça s’est tout refermé. »

Après de nombreuses années à travailler fort, Carmen Dess vit maintenant le meilleur des deux mondes. Elle peut profiter de la vie même si elle est toujours en demande. Elle choisit les endroits où elle veut chanter et refile les autres contrats à certains artistes qu’elle estime.

Un compliment qu’elle a reçu et qui l’a touché a été de se faire appeler « marchande de bonheur ». Celle pour qui le public a toujours été si important peut se réjouir de la façon dont on apprécie sa présence et l’émotion qui transparaît dans sa voix à travers les mots de ses chansons.