Le crime du siècle qu’on disait

Sir Harry Oakes avait l’habitude de se lever en pleine nuit et de se promener dans sa maison, le revolver à la main. Il avait le sommeil léger.

Une nuit de juillet 1943, un violent orage s’approche des Bahamas. Des éclairs traversent le ciel, la pluie ruisselle, le tonnerre résonne.

Oakes venait de donner une soirée. Tous les invités avaient quitté. Il lisait dans son lit lorsque son associé en affaires Harold Christie, qui avait décidé de coucher chez Oakes pour éviter l’orage, décide de venir lui faire la conversation.

Tout en bavardant, Christie glisse un puissant somnifère dans le verre d’Oakes. Il quitte en voyant son associé, milliardaire ayant fait fortune dans l’or au Canada, sombrer dans un sommeil profond.

Christie se faufile jusqu’à son auto, démarre dans la tempête et se rend à Nassau, capitale des Bahamas. Là, il rencontre un homme de couleur équipé d’un harpon, cet instrument dont on sert pour la pêche à la baleine. C’est un tueur à gages qui appartient à la religion Palo Mayombe, une secte qui s’adonne à des rites tribaux venant du fond des temps.

Laissant Christie derrière, le tueur au harpon se rend seul à la villa d’Oakes. Celui-ci dort, la tête contre un oreiller. Détail important : un oreiller de plumes repose contre lui. Sûrement posé là par Christie.

Le tueur soulève l’extrémité triangulaire de son harpon et frappe méthodiquement le visage d’Oakes de façon à dessiner une certaine géométrie sur la peau. Le geste ne vise pas à tuer la victime, il s’agit simplement d’un rituel Palo Mayombe.

Le tueur asperge la poitrine d’Oakes d’insecticide à l’aide d’un vaporisateur puis y jette une allumette. Le corps d’Oakes s’enflamme. Le tueur ouvre l’oreiller de plumes avec son harpon. Les plumes se mélangent à la chair brûlée.

Dernier rituel : le tueur dispose des petits tas de poudre sur le sol et y met le feu. Puis, il se dirige vers la plage, avec l’aide de Christie, et fuit par la mer une fois la tempête terminée.

Christie retourne à la maison d’Oakes et constate que le tueur à gages a bien fait son travail. Il appelle les policiers et fait croire qu’il a trouvé le corps de son ami.

Longtemps les soupçons pèsent sur un homme appelé Alfred de Marigny, l’époux de la fille de sir Harry Oakes. De Marigny est à couteaux tirés avec son beau-père. De plus, il était détesté dans les Bahamas car il traitait Noirs et Juifs sur un même pied d’égalité que les Blancs. Sans compter qu’il avait insulté le gouverneur des îles, le duc de Windsor en personne. De Marigny avait une grande gueule.

Une enquête policière bâclée, des médecins légistes amateurs et une volonté générale d’éviter un nouvel affrontement avec les Noirs (une émeute avait éclaté quelques jours auparavant) poussent la communauté à prendre de Marigny comme bouc émissaire. Il fut relâché après la tenue d’un procès, faute de preuves. On l’expulse quand même à Cuba où de Marigny est accueilli par une connaissance, l’écrivain Ernest Hemingway.

Quant à Christie, il devient milliardaire grâce à la guerre 39-45 et est fait chevalier par la reine Élisabeth 11 en retour de services rendus à l’empire britannique.

N’empêche : détectives privés, historiens, écrivains et cinéastes se sont intéressés au meurtre mystérieux de Sir Harry Oakes car l’affaire avait fait la une des médias pendant la guerre. Ce n’était ni plus ni moins que le crime du siècle, vu le côté rituel du meurtre. Le dossier ne fut jamais totalement éclairci mais, selon l’avis général, seul Harold Christie pouvait avoir commandé le meurtre de son vieil associé en affaires. Le mobile?

La suite la semaine prochaine.

(Ce texte fait partie de la série Histoires de crime)