La mafia contrôlait le maire

François Spirito n’était pas un ange avant de débarquer au Québec dans les années 40. La preuve: ses activités criminelles ont fait l’objet d’un film : The French Connection, gagnant de 5 Oscars à Hollywood.

Nous sommes à Marseille au milieu des années 30. L’adjoint du maire, Simon Sabiani, compte sur les services de deux hommes : Paul Carbone et François Spirito. Ils n’ont pas été embauchés pour leurs compétences administratives. L’intimidation est leur marque de commerce. Ils travaillent davantage avec leurs bras qu’avec leur cerveau.

À l’époque, Marseille est reconnue comme une ville hautement criminalisée: prostitution, contrebande, racket de protection. Le port de Marseille est l’un des plus actifs de la Méditerranée. Il constitue donc une porte d’entrée idéale pour le crime.

D’ailleurs, selon Wikipedia, les hommes de Carbone et de Spirito étaient parfois recrutés par les patrons et les politiciens de la ville pour chasser les communistes osant se montrer le bout du nez au port.

Complicité

Marseille vit la fièvre électorale en 1934. Ça brasse fort! Un candidat se fait cribler de balles en pleine nuit en roulant sur un boulevard. Les journaux accusent l’équipe du maire gagnant, celui de Sabiani, de fraude électorale. D’ailleurs, le maire a gagné par une seule voix : la sienne.

Son chien danois couché à ses pieds, l’adjoint du maire, Simon Sabiani, reçoit les visiteurs. Les deux hommes qui l’encadrent, Carbone et Spirito, arrivent d’Amérique où ils ont compris que politiciens et pégreux peuvent très bien coexister dans un échange de service.

Carbone et Spirito ont placé un certain nombre de repris de justice dans les bureaux municipaux. Les deux hommes prêtent même leurs propres poings si une manifestation se déroule contre le maire. Malgré tout, Sabiani défend ses deux hommes sur la place publique. Il fait placarder des affiches sur plusieurs murs de la ville : « Carbone et Spirito sont mes amis. Je n’admettrai pas qu’on touche à un seul de leurs cheveux», peut-on lire.

Vers la même époque, un enquêteur se fait assassiner près d’une ligne de chemin de fer. Il a été décapité. L’homme enquêtait sur le meurtre d’un escroc. Comme ce dernier entretenait des relations étroites avec la police, la presse et certains politiciens, l’hypothèse la plus plausible veut qu’on ait tué l’enquêteur avant qu’il ne mette la main sur des preuves.

François Spirito est arrêté et accusé de meurtre. Faute de preuves, il est relâché. Les partisans du maire l’accueillent en vainqueur sur les quais de la gare de Marseille. Les journaux et l’opposition politique sont en furie.

Ce qu’ils ne savent peut-être pas, c’est que Paul Carbone est devenu le grand patron de la pègre marseillaise. Lui et Spirito ont mis sur pied un réseau de fabrication et de trafic de stupéfiants, la première filière internationale d’héroïne française. La dope est vendue à la mafia juive de New York.

« Grâce à de solides relations en Indochine française, en Turquie, en Grèce et en Yougoslavie, Spirito avait réussi à importer des tonnes d’opium et de morphine-base et à les transformer en héroïne dans des laboratoires clandestins installés dans la région parisienne, les premiers qui furent mis sur pied par des trafiquants de drogue », écrit Jean-Pierre Charbonneau dans son livre La filière canadienne.

Gestapo

Lorsque les nazis envahissent la France durant la guerre 39-45, Spirito devient homme de main pour la Gestapo. La Résistance français ne le lâchant pas d’une semelle, Spirito lève les feutres un beau matin et s’enfuit en Espagne.

Comprenant qu’il ne peut revenir en France sous peine d’être accusé de collusion avec l’ennemi, le truand décide de retourner en Amérique. Il choisit Montréal comme ville d’adoption.

Un caïd puissant

Une fois à Montréal, Spirito relance la filière française d’héroïne avec d’autres comparses. Quelques années plus tard, il s’installe à New York pour s’occuper des clients du réseau. Début des années 50 : la police locale réussit à le coincer et il se retrouve derrière les barreaux pour deux ans.

« En 1954, il retournera secrètement à Marseille où il sera arrêté un an plus tard, emprisonné puis relâché malgré sa condamnation à mort par contumace pour trahison (NDLR : sa collaboration avec la Gestapo durant la guerre 39-45). Retiré à Sausset-les-Pins, son nom refera surface à plusieurs reprises jusqu’à sa mort en octobre 1967 », nous apprend l’auteur Jean-Pierre Charbonneau.

François Spirito est reconnu comme l’un des premiers grands caïds de la drogue. Le réseau international qu’il a mis sur pied a souvent fait la manchette. Il s’étendait du Liban, de la Turquie et de l’Indochine française jusqu’aux États-Unis en passant par la France et le Québec, porte d’entrée vers le marché américain. Même le célèbre criminel Lucien Rivard deviendra un membre du réseau.

La célèbre filière française a inspiré le film The French Connection réalisé par William Friedkin (L’exorciste) en 1971.

(Sources : La filière canadienne de Jean-Pierre Charbonneau aux Éditions de l’homme, et La mort d’un roi, de Roger Colombani et Jean-René Laplayne aux éditions Albin Michel.)

Cet article s’inscrit dans la série Histoires de crime qui renferme faits divers, procès célèbres et récits d’espionnage dont les archives se trouvent au www.lhebdojournal.com, actualités, sous-onglet justice. Titres déjà publiés:

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