La peinture du cœur d’Annie Létourneau

Jusqu’au 15 janvier, la Coopérative Le 507 présente l’exposition Aletto #RES360. L’exposition a ceci de particulier qu’elle est le résultat d’un défi créatif que s’est lancé Annie Létourneau : peindre une œuvre par jour pendant un an.

Pour revenir à la prémisse de ce projet, il faut remonter en 2019. Annie Létourneau avait changé d’emploi pour un nouveau travail qui comporte son lot de défis. C’est lors de vacances, alors qu’elle avait particulièrement besoin de décrocher, qu’elle a ressorti son pinceau.

« J’avais eu une très grosse année et en décembre, j’étais épuisée. Pendant des années, je vivais avec cette dualité de travailler et d’essayer de trouver du temps pour créer, peindre et écrire. Avant de partir en vacances cet hiver-là, j’ai trouvé une palette d’aquarelle que je n’avais jamais utilisée, des pinceaux et un vieux cahier de croquis et j’ai tout mis dans mon sac. Je me suis dit que pendant mes vacances, il faudrait que j’ouvre mon cahier de croquis à quelques reprises et prendre 30 minutes pour peindre, sans réfléchir ni planifier », raconte Annie Létourneau.

Sans vraiment le réaliser, elle a peint tous les jours au gré des demi-heures qu’elle s’accordait pour créer. Quand elle s’en est rendu compte entre Noël et le jour de l’An, elle s’est dit que ce serait une bonne façon d’intégrer la création dans son quotidien.

« Le défi a été de concilier la création et mon travail pour vrai. Pour que je n’abandonne pas, il fallait que ça se fasse rapidement. Je pense que ça m’aurait découragée de faire de grandes toiles, m’attarder à une œuvre plusieurs fois dans un mois… Je me suis mis à adorer le comportement de l’aquarelle, sa fluidité et sa rapidité. J’aime empiler les couches de peinture et l’aquarelle me permet de le faire rapidement », explique celle qui s’est contrainte à n’acheter de l’aquarelle que lorsque sa palette serait terminée.

Tout son matériel rentre dans un sac, de sorte qu’elle peut peindre partout: chez elle, chez des amis, à la plage, au parc, en montagne…

« Je pense que je n’ai pas abandonné en cours de route parce que mon kit se traînait partout facilement. L’exposition s’est construite dans ce besoin de créer. » En parallèle, elle a commencé à écrire un journal de bord pour définir sa satisfaction de chaque œuvre. Elle y écrivait ses réflexions: l’envie de départ pour l’œuvre, à quoi l’image lui faisait penser, si ça avait été fluide, comment s’était passée la journée…

Le processus créatif d’Annie Létourneau, une personne pourtant très analytique, se voulait volontairement très intuitif. Elle mettait une musique pour se détendre puis, lorsqu’elle prenait son pinceau, elle fermait les yeux. Elle voyait alors une couleur et c’est cette couleur qui lançait le bal. « Après, ça se dictait tout seul et l’énergie de l’aquarelle embarquait. Ensuite, je prenais le crayon et ça repartait. »

Chaque œuvre laisse place à l’interprétation de celui qui la regarde. « C’est une peinture qui vient du cœur. Je mettais des taches d’aquarelle sans réfléchir, en y allant au feeling. Les gens ont l’impression de voir des villes, un jardin, des cochons, un éléphant, des perroquets, des fleurs… Mais à la base, mes œuvres ne partent pas d’une intention figurative », souligne l’artiste qui a une facilité pour la paréidolie, cette tendance du cerveau à voir des formes ou des images un peu partout, comme dans les nuages.

Le projet #RES360 regroupe, au final, 340 œuvres teintées d’une émotion qui rappelle de s’arrêter et de s’émerveiller chaque jour. Chaque aquarelle témoigne des humeurs de l’artiste et de son énergie au fil de cette année de création qui est présentée à partir du 1er janvier. Au mur, chaque ligne verticale représente une semaine dans l’année.

Et dans cette mosaïque colorée, il y a une coupure blanche. Franche. Dix jours sans peinture.

« Je m’étais seulement autorisée à cinq jours de repos de peinture. On a décidé de laisser des blancs pour ces journées dans l’exposition. Alors au début, on pensait qu’on avait égaré un cahier de croquis. Puis, je suis allée fouiller dans mon journal de bord. J’ai réalisé que je n’avais pas peint pendant dix jours. Ça correspond au moment où j’ai perdu mon emploi en raison de la pandémie. Cette coupure visuelle dans l’exposition représente aussi cette coupure totalement imprévue qui est survenue dans ma vie », confie Annie Létourneau.

« Ce qui me fait triper, c’est de réaliser comme les œuvres qui suivent cette coupure sont lumineuses, ajoute-t-elle. Toute cette évolution m’a donné des frissons. Je ne peux pas renier certaines parties du travail, car c’est ce qui a mené à cette évolution. »

Quand elle s’est lancée dans ce défi, Annie Létourneau ignorait alors que 2020 serait une année difficile pour tout le monde.

« Je crois que ces 30 minutes que je m’accordais à peindre chaque jour ont été un ancrage, une bouée de sauvetage, note-t-elle.  Notre vie était toute croche. Dans toute cette incertitude, je savais qu’il y aurait un moment dans la journée où je peindrais. Je pense que ça a eu un effet, car je n’ai pas trop ressenti l’impact de la pandémie. »

Pour l’aider à donner vie à cette exposition, elle a fait appel à Marie-Michelle Dupuis, Christine Lafond et Laurie Dumas. Ensemble, elles ont élaboré le concept, la mise en espace, la mise en marché et la préparation des œuvres en prévision de l’exposition. « Elles m’ont beaucoup sécurisée dans le processus. Depuis neuf mois, je réalise tout le travail et les aptitudes que ça demande aux artistes de faire leurs communications, leur marketing, de penser aux détails de l’exposition… Mon équipe de projet m’a permis d’avoir le regard externe nécessaire. Elles ont travaillé si fort! »

Les visiteurs remarqueront notamment un mobile composé de morceaux de papier essuie-tout utilisés par l’artiste pour éponger ses œuvres, ainsi que des extraits de son journal de bord.