«Abattre la bête», une dénonciation par l’absurde

ROMAN. L’auteur trifluvien David Goudreault lançait le 12 avril dernier le dernier volet de sa trilogie, Abattre la bête. Après La Bête et sa mère et La Bête et sa cage, le personnage poursuit sa quête de retrouver sa mère dans un texte réaliste, drôle et engagé.

«La bête, c’est mon personnage porte-bonheur. C’est celui qui mène la trilogie vers des sommets assez inquiétants de violence, de quêtes existentielles et d’aphorismes douteux», raconte l’auteur.

Celui qu’on appelle la bête a été séparé de sa mère très jeune, «parce qu’elle se suicidait souvent». Elle passe alors d’un centre jeunesse à l’autre, toujours de manière pénible et peu résiliente. Après la famille d’accueil et le milieu carcéral, David Goudreault envoie sa bête en institution psychiatrique d’où elle s’évadera pour aller «foutre un beau bordel dans la métropole».

L’auteur souligne que c’est dans son troisième roman que son personnage subit la plus grande évolution.

«Il commence à avoir des émotions. D’ailleurs, il a des crises de larmes en faisant l’amour et il a des idées suicidaires, ce qui pour moi est un signe d’amélioration, parce que la détresse demande une certaine introspection, capacité qu’il n’avait pas dans les premiers romans», explique M. Goudreault.

Le Trifluvien mentionne cependant que, malgré qu’il s’agisse du même personnage qui anime la trilogie, chacun peut être lu indépendamment des autres.

«Chaque roman propose une nouvelle intrigue, mais avec le même personnage. C’est comme un Hercule Poirot trash et violent qui se retrouve dans une nouvelle enquête chaque fois», illustre-t-il.

Abattre la bête bouclera effectivement la boucle de cette trilogie à succès de David Goudreault. La bête ira jusqu’au bout de sa quête qui est de retrouver enfin sa mère, mais cette rencontre ne se conclura peut-être pas comme elle l’avait souhaité.

«Je considère par contre, à un certain point, qu’il s’agit d’une fin heureuse, indique l’auteur. Il y a une prise de conscience violente qui attend mon personnage et qui est peut-être un juste retour des choses, parce que lui-même a été tellement cruel, même sans le vouloir, à travers les romans que c’est à son tour de se faire brasser un peu.»

David Goudreault décrit la relation de son personnage avec sa mère comme étant paradoxale: une relation fusionnelle à distance. C’est ce qui a fait en sorte que son personnage est aussi troublé, dans l’idéalisation d’un être perdu.

«Sa mère, c’est une tout croche, mais il ne s’en rappelle pas tant que ça. Il croit que sa vie difficile et ses problèmes avec le système s’arrangeront en retrouvant sa mère. C’est un peu la pensée magique: le 1er du mois, ça va aller tellement mieux! C’est un peu ça, mais à l’échelle d’une vie», illustre-t-il.

Fable moderne sur la maladie mentale

La trilogie de David Goudreault, véritable plaidoyer de l’absurde grâce à son personnage misogyne et raciste, à un tel point qu’on devine que l’auteur est tout le contraire, est sa façon de passer ses messages.

«Plutôt qu’arriver avec une campagne de sensibilisation aussi frontale qu’inefficace, je passe par la bande avec l’humour noir», précise M. Goudreault.

Pour un auteur, le personnage de la bête est un petit bijou pour exprimer ses pensées bizarres et troublantes. Il mentionne d’ailleurs devoir entreprendre un deuil à la conclusion de sa trilogie.

«Est-ce que je vais pouvoir retourner aussi loin, aussi intensément, avec un autre personnage? J’ai déjà d’autres projets de roman, mais cette facette très noire, très glauque mais drôle, va me manquer. En fait, ça me manque déjà!», lance David Goudreault.

Bien que l’auteur trifluvien confirme que son quatrième roman sera très différent des trois premiers, il poursuit son exploration de la santé mentale.

«Mon quatrième roman sera un jeu de personnages, des troubles de personnalités qui se rencontrent. Ça va être comme les Avengers de la maladie mentale, les plus puissants qui vont se retrouver ensemble: borderline, troubles de la personnalité dépendante, narcissique et antisociale. Ce sera une espèce de fable moderne sur la maladie mentale», illustre-t-il.

Les lecteurs de David Goudreault devront cependant être patients. Bien qu’il ait sorti trois romans et trois ans, le prochain prendra quelques années encore avant d’arriver sur les tablettes des librairies. De plus, parallèlement à cet autre roman, il additionne les projets d’écriture de toutes sortes, dont la poésie qui l’a aspiré dans son monde un peu malgré lui.

«Avec la Coupe du monde de poésie et les compétitions de slam où je me suis démarqué, c’est là que mon énergie se concentrait. Je voyais le temps passer, finalement l’horloge biologique de l’auteur a sonné et j’ai ressenti l’urgence de produire autre chose», raconte M. Goudreault.

«Je me disais que je devais le faire maintenant, que ce ne serait plus le temps de me lancer avec les enfants qui arrivent et l’énergie qui se disperse. J’ai l’impression, comme beaucoup de nos peurs et des défis dans la vie, que le plus difficile est de faire le premier pas», ajoute-t-il.

Les premières amours de David Goudreault étaient d’ailleurs le roman et la nouvelle littéraire, amours qui se sont manifestées dès l’adolescence. «Je ne suis pas tant un poète qui a écrit un roman, je crois plutôt que je suis un romancier qui a fait un détour par la poésie.»

Néanmoins, le Trifluvien a su laisser sa marque un peu partout en remportant la médaille de l’Assemblée nationale, la Coupe du monde de poésie, le Grand prix littéraire Archambault et le Prix des nouvelles voix de la littérature.

À mes yeux, le plus important est d’être reconnu pour mes efforts, même plus que pour mon talent. En fait, le plus grand avantage d’avoir une certaine reconnaissance du public, c’est que lorsque j’écris, je sais qu’il y a déjà plusieurs personnes qui vont le lire. Je n’écris plus pour rien! Je me suis assez entrainé à écrire des textes qui restent dans mes tiroirs», conclut David Goudreault.