Vivre avec un trouble de santé mentale: «On m’a appris à avoir honte»

Leurs mots résonnent encore comme des coups de poing alors que je retourne vers ma voiture après l’entrevue. «On m’a appris à avoir honte.» «C’est souvent la famille proche qui juge beaucoup, mes décisions et mes actions.» «Je me suis conditionnée toute ma vie à le voir mourir.»

Bien que les troubles de santé mentale soient moins tabous qu’ils ne l’étaient il y a 10 ans, encore de nombreuses personnes concernées par une problématique de santé mentale sont stigmatisées, jugées, isolées. Et leurs proches aussi.

«On en vit des préjugés, nous aussi», confie Lucie Plante.

Son fils aîné vit avec un trouble de personnalité limite antisocial. Cela fait en sorte qu’il a du mal à maîtriser ses impulsions, ce qui entraîne des crises. Par ailleurs, sa dysphasie l’empêche de bien comprendre des commandements lorsqu’ils sont nombreux ou complexes.

«C’est souvent la famille proche qui juge beaucoup, à la fois mes actions et mes décisions. Je n’ai jamais eu honte de mon fils.»

Autour de la table du comité Locomotive du Regroupement des organismes de base en santé mentale (ROBSM), Louis Vigneault, Lucie Plante, Lyne Larivée, Pierre-Paul Aveline et Claudette Beaudin savent qu’ils peuvent s’exprimer sans crainte d’être jugés ou regardés de travers.

Louis Vigneault est bipolaire. La bipolarité s’est déclenchée chez lui à ses 17 ans, quand son frère est décédé. «Au début, on s’identifie à notre maladie mentale. Je me collais l’étiquette, raconte-t-il. Mais bipolaire, ce n’est pas moi. Ça fait partie de moi. On apprend à vivre avec. Les troubles de santé mentale ne sont pas un signe de faiblesse.»

Au cours de sa vie, il a souffert. Il y a eu la drogue, entre autres. Aujourd’hui, Louis est fier de dire qu’il n’a jamais été aussi heureux. «Je vais très bien psychologiquement. C’est grâce à l’équipe de l’organisme Le Traversier que j’ai fréquenté.»

Lucie comprend le cheminement difficile de Louis. Elle a vu son fils cesser de consommer de la cocaïne et de la méthamphétamine par lui-même. «Ils se retrouvent souvent dans des milieux difficiles, remarque-t-elle. À neuf ans et demi, il avait déjà fait quatre tentatives de suicide. À la maison, on ne me croyait pas. Ce sont des années de souffrance. Je me suis conditionnée à le voir mourir. C’est difficile d’avoir de l’aide.»

Pendant que l’on discute, Claudette Beaudin est discrète. C’est difficile pour elle en ce moment. Elle le sait bien, depuis le temps: l’automne, c’est sa période de faiblesse. «On m’a appris à avoir honte. Ici, ça aide à déstigmatiser les gens. Ça m’aide à me déstigmatiser moi-même.»

Chaque minute de la journée, Claudette entend des voix dans sa tête. En raison de sa schizophrénie, elle peut entendre jusqu’à sept formes de voix. Ces voix lui disent du mal. Elles lui chuchotent de s’autodétruire, que c’est la fin du monde, qu’elle doit se taire. Le sommeil est difficile. Le combat est quotidien.

«J’ai demandé de l’aide et je ne serais pas là si je ne me disais pas que je veux vivre. Je dois me l’exclamer chaque jour. Ce n’est pas évident quand on me rejette. Il faut que, toi-même, tu te reconnaisses. Il faut avoir cette force vitale, des racines intérieures.»

Stigmatisé par le travail…et la famille

Pour plusieurs, le rejet vient du milieu du travail.

«Quand on pense à une personne qui vit avec une problématique de santé mentale, on pense qu’elle n’est pas fonctionnelle, qu’elle n’est pas apte à fonctionner, avance Claudette. C’est un mythe qui persiste. Je suis une femme d’affaires bénévole. Je suis très fonctionnelle, je vous l’assure. On est intelligent. Dites-vous qu’on a appris à se débrouiller avec notre problématique et être mobilisé et en action.»

Pierre-Paul Aveline l’a vécu récemment. Il vit avec un trouble anxieux généralisé accompagné d’un trouble déficitaire de l’attention. Il n’a jamais caché à son ancien employeur qu’il vivait avec un trouble d’anxiété. Quand son employeur a mis fin à son emploi sans crier gare, il s’est senti stigmatisé. «Je me suis dit que si je ne l’avais pas mentionné, j’y serais peut-être encore.»

«La stigmatisation fait partie de moi, poursuit-il. En 2010, je fréquentais une fille. Ses parents m’ont rencontré. Ils m’ont dit: «Je ne veux pas que tu sortes avec ma fille. Tu es handicapé. Tu n’auras jamais d’emploi stable». C’est le genre de mots qui rentrent dedans.»

La stigmatisation peut aussi se produire entre deux sœurs. C’est ce qu’a observé Lyne Larivée chez elle.

«J’ai deux filles. La plus vieille travaillait en garderie. Elle vit avec un trouble anxieux, mais tout fonctionnait bien. Sa jeune sœur a un trouble de personnalité limite et ne travaille pas. Son aînée lui disait qu’elle n’avait qu’à se lever et travailler. Puis, elle est tombée en arrêt de travail sur une longue période. Elle a fait une dépression. Elle s’est rendu compte qu’elle n’est plus capable de travail. Aujourd’hui, elles s’entraident. Même des filles qui ont eu les mêmes parents ont des préjugés», souligne-t-elle.

La Semaine de sensibilisation aux maladies mentales, qui se déroule du 6 au 12 octobre, a pour objectif d’ouvrir les yeux des Canadiens sur la réalité de la maladie mentale. Car encore en 2019, beaucoup de personnes concernées par la santé mentale n’osent pas demander de l’aide. Il existe plusieurs ressources dans la région.

Pour un aperçu de ces ressources: https://www.robsm.org/organismes.php

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Stigmatisation: sensibilisation en continu au CIUSSS

Lyne, Lucie, Louis et Claudette ne se sont pas toujours sentis écoutés lorsqu’ils ont dû faire appel aux services du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, ces dernières années, pour leurs enfants ou pour eux-mêmes. «À l’urgence, ils sont tellement pris dans le système de performance que c’est rendu qu’on n’écoute plus», déplore Lyne qui aimerait voir des ressources sur place pour mieux diriger les personnes vivant avec une problématique de santé mentale.

Au CIUSSS MCQ, on soutient que le personnel est sensibilisé en continu pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination associées à la maladie mentale.

«Une entente annuelle avec le ROBSM vise à déployer des actions de sensibilisation internes et externes au cours de l’année. On parle ici de bibliothèque vivante – témoignage de rétablissement dans les centres hospitaliers, précise Julie Michaud, agente de communication au CIUSSS MCQ. Des budgets sont également alloués à nos équipes santé mentale dans chacun de nos réseaux locaux de services afin qu’ils déploient des actions locales dans leurs secteurs au cours de l’année.»

Deux pairs aidants ont également été engagés à Trois-Rivières et à Drummondville. Ceux-ci se joignent aux équipes intensives de soutien dans les milieux. «Comme ces personnes ont un problème de santé mentale et ont appris à vivre avec celui-ci, ils sont en mesure de bien comprendre les situations vécues par des usagers et leurs proches et les orienter», souligne Mme Michaud.

À Shawinigan, des membres de l’entourage de personnes ayant un problème de santé mentale viennent soutenir les usagers et les proches à l’unité de traitement et de réadaptation. Une semaine de sensibilisation à la santé, sécurité et mieux-être au travail, où la santé psychologique est abordée, se tiendra dans les établissements du CIUSSS en mai.

«Une trajectoire de services a été créée pour notre personnel absent pour cause de problème psychologique. On compte également sur une équipe sentinelle en prévention du suicide, soit des employés formés pour repérer et orienter du personnel à risque», conclut Mme Michaud.

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1 milliard $

Un plan d’action gouvernemental se met en place avec le Centre interuniversitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. Ce plan d’action inclut toutes les personnes concernées par une problématique de santé mentale, précise Louis Vigneault. D’ailleurs, lutter contre la stigmatisation fait partie du plan qui regroupe plusieurs dizaines de mesures. «Mais il n’y a pas d’argent pour la santé mentale au Québec», déplore Louis. En 2018-2019, sur les 38,5 milliards $ alloués en santé, seulement 1,3 milliard $ était accordé pour la santé mentale plus spécifiquement.