Steve et Frédéric: reines de la nuit

Les petites tables carrées s’emplissent de maquillage. Les faux cils sortent de leur boîte, le fond de teint en poudre «revole» entre deux échos du boum boum d’en haut tandis qu’ils manient le mascara comme des femmes. Le «il» fait lentement place au «elle». Bienvenue chez les reines de la nuit.

Car quand la nuit tombe sur Trois-Rivières le samedi, Steve et Frédéric deviennent Destiny et Popeline, drag queen.

«Moi, ça va faire cinq ans. Je suis allé voir un spectacle de Mado et je me suis dit que je ne ferais jamais ça et que je ne porterais jamais de talons hauts de ma vie! Plus tard, on m’a proposé d’essayer pour un soir et j’y ai pris goût. J’ai découvert une attirance envers le stage, la confection de costumes, les chorégraphies et la coiffure que tout ça implique», raconte Steve.

Il y a aussi beaucoup de préparation derrière chaque personnification de chanteuse afin de la rendre la plus réaliste possible. Ça va de modifier la morphologie de son visage jusqu’à déterminer à quel moment la chanteuse respire pendant la chanson pour que le lip synch soit parfaitement synchronisé.

Truckeuse à talons hauts

«Ma première fois, c’était il y a dix ans au concours Mini Star à Montréal, se souvient Frédéric. J’étais tellement nerveux! Je faisais « Call Girl » de Nanette Workman. J’ai fait quatre pas et je suis tombé en pleine face sur la scène. Je me suis relevé et les gens ont applaudi. Ça a eu un effet punch. La première fois, c’est souvent à la bonne franquette…et ça peut avoir l’air d’une truckeuse à talons hauts!»

Dur dur d’être une femme…

En étant drag queen, on peut s’attendre à ce que son entourage accepte plus ou moins bien la nouvelle.

Si les familles de Steve et Frédéric ont été très compréhensives, tous les artistes drag queen n’ont pas cette chance.

«Tu peux avoir un très bon ami, mais quand il apprend que tu es drag queen, il ne te parle plus. Ce n’est pas évident non plus pour faire de nouvelles rencontres. Mettons que ce n’est pas ce que tu dis en premier parce qu’il y a aussi des préjugés dans le monde homosexuel qui aime de plus en plus la masculinité. Nous, on ne fite plus dans les standards. Je pense qu’on dirait qu’on est esthéticiens que ça passerait mieux!» souligne Frédéric.

Transformation extrême

Trève de blabla: l’heure de la transformation est arrivée rapidement. Direction la loge.

Plafond bas, plancher de béton, câbles bien en vue, perruques accrochées au-dessus de miroirs éclairés par quelques ampoules: la loge a un aspect brut qui contraste avec les costumes très féminins suspendus à leur cintre.

Mais Steve et Frédéric ont vu pire: «Je me suis déjà changé dans un frigidaire. Une autre fois, des rideaux avec été installés près de la scène et je devais changer de costume derrière. Mais ils étaient éclairés: un vrai spectacle d’ombres chinoises!» rigole Steve.

Trinity, Mydnight et Precious, les autres invitées de Destiny, sont déjà en train de se maquiller. Pour certains, la transformation peut prendre 30 minutes ou beaucoup plus.

Ils –elles- commencent par coller leurs sourcils avec un produit spécial, recouvrent ensuite entièrement leur visage d’un fond de teint opaque, puis se redessinent des sourcils plus féminins. Fards à paupières, rouges à lèvres et faux cils s’alternent ensuite au gré de chacun(e), au rythme des chansons de Céline Dion. L’ambiance est légère. Destiny s’assure de la logistique du show. Les artistes se donnent des conseils de maquillage entre eux.

La magie opère

On entend la Station II – l’ancien Pub Notre-Dame- se remplir. 23h approche. Encore deux ou trois détails à fignoler et en scène! Cinq pouish de parfum plus tard, Destiny est prête à donner son show.

«Les gens hétérosexuels font souvent une découverte quand ils viennent nous voir en show. Même que ça pogne plus avec les hétéros. Avec les homosexuels, l’effet magique est moins là: ils en ont vu d’autres», indique Frédéric…ou plutôt Popeline.

C’est parti! Le bar est rempli et on remarque quelques hétérosexuels assis à des tables. Les transformations sont phénoménales. L’illusion est totale: ils sont femmes le temps d’une soirée. Elles dansent, chantent, animent et se déplacent avec une démarche d’enfer sur leurs souliers plateformes. Le public applaudit chaudement. Il apprécie l’expérience. C’est divertissant.

Deux heures plus tard, Destiny, Popeline et les autres redeviendraient hommes…et seraient sans doute soulagé(e)s de retirer leur strappeur et leurs talons hauts!

«C’est important de faire la différence entre les personnificateurs féminins, les drag queens, les travestis et les transsexuels. Ce n’est pas parce que tu te transformes en femme pour faire la drag queen que tu veux nécessairement devenir une femme. Il y a une nuance à faire. C’est un travail», expliquait Steve en entrevue. «C’est comme un pompier qui porte son uniforme, sauf que le nôtre, c’est des talons hauts, une robe et une perruque.»