Prostitution au pied de la Côte à deux fesses
Un jeune garçon d’environ 12 ans se prostituait sur la rue du Côteau, qu’on connaît aujourd’hui comme la rue Sainte-Marguerite. «J’étais couché avec le petit garçon de la tenancière», peut-on lire dans le rapport du procès.
C’est l’une des histoires sur laquelle est tombée Marie-Joëlle Côté, étudiante à la maîtrise en Études québécoises à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le sujet de sa thèse: «Le commerce du sexe en Mauricie de 1850 à 1916: pratiques sociales et répressions étatiques».
«C’est quand même étonnant de voir un jeune homme prostitué considérant qu’il y a très peu de traces de prostitution masculine en Mauricie dans les archives judiciaires. C’était tellement tabou», souligne-t-elle. Elle a épluché 175 rapports judiciaires tirés de procès dans le cadre de son travail de maîtrise.
Maisons de débauche
À l’époque, on pouvait dénombrer plusieurs maisons de débauche à Trois-Rivières et ailleurs dans la région. En ville, l’activité se déroulait surtout dans le secteur du chemin Sainte-Marguerite et, ironie, de la Côte à deux fesses (Côte Plouffe).
Au tournant du 20e siècle, le terrain de l’Exposition est aussi devenu un lieu où c’était établi le commerce du sexe. Marie-Joëlle a notamment noté qu’on y distribuait des cartes osées et que beaucoup de cas de vagabondage, qui incluent en partie la prostitution, y étaient recensés.
«Le salaire moyen d’un journalier était d’un dollar par jour. En général, le coût de base des services d’une prostituée était d’un dollar en 1886 et d’environ 1,50$ au début des années 1900, selon la maison de débauche. C’était quand même l’équivalent du salaire d’une journée de travail», souligne Marie-Joëlle.
La police impliquée
Le plus gros scandale en matière de «fornication et putanisme» recensé à Trois-Rivières impliquait deux policiers.
C’était en 1885.
«Durant un procès, deux prostituées ont raconté devant près de 300 témoins que des policiers étaient impliqués dans les activités d’une maison de débauche. Les gens se sont mis à en parler en ville et une commission d’enquête a été lancée pour éclaircir le dossier. Au final, les policiers ont été reconnus coupables et ont été renvoyés parce qu’ils n’exécutaient pas certains mandats d’arrestation reliés aux maisons de débauche», raconte Marie-Joëlle Côté.
«Par après, ils ont poursuivi la Ville pour 600$ en dommages et intérêts et perte de salaire. Ils ont perdu leur cause et en ont fait appel à Québec. Mes recherches ne disent pas comment ça se terminé», ajoute-t-elle.
Elle a remarqué quelques autres cas de corruption policière entre 1850 et 1916, mais rien d’aussi majeur.
En pleine forêt!
«Ce qui m’a surprise durant ma recherche, c’est qu’on retrouvait des maisons de débauche en pleine forêt! Dans le rapport d’un procès, on pouvait retrouver des photos d’une maison de débauche sur le bord d’un lac à St-Mathieu-du-Parc. C’était vraiment une cabane en bois rond au milieu de nulle part», soutient l’universitaire.
On comptait cependant davantage de maisons de débauche en ville qu’en campagne.
Une histoire de famille
Marie-Joëlle Côté a constaté que dans de nombreux cas, les maisons de débauche étaient tenues par des couples.
Mais le plus souvent, les tenancières étaient des femmes, soit mariées soit célibataires. Très peu étaient veuves. Les tenancières mariées avaient généralement entre 30 et 40 ans, tandis que les prostituées célibataires étaient dans la vingtaine.
«Il n’était pas rare de voir les mères accusées de tenir une maison de débauche et leurs filles être arrêtées pour s’y être prostituées. Parfois, ça se perpétuait de génération en génération. Il y avait même une théorie, à l’époque, disant que la prostitution était génétique ou qu’il s’agissait d’une maladie mentale», mentionne Marie-Joëlle.
Dans un autre procès, on retrouvait un tenancier dont deux femmes de sa famille se prostituaient avec son fils à lui.
«Il y avait très peu de dénonciation à l’époque, surtout dans les villages», précise-t-elle.
Femmes et justice
Lorsqu’elles étaient reconnues coupables, les tenancières et prostituées risquaient jusqu’à 50$ d’amende et une peine d’emprisonnement pouvant atteindre six mois.
Par contre, quand elles ne payaient pas leur amende, l’emprisonnement s’étendait à un an.
«La sentence la plus sévère que j’ai vue était de deux ans d’internement au couvent. C’était dans les dernières années couvertes par ma recherche», mentionne Marie-Joëlle.
Les peines étaient plus sévères pour les femmes que pour les hommes.
«Il y avait une forme de discrimination selon le genre. D’autres études réalisées sur le sujet à Toronto et Montréal indiquent aussi que les clients étaient punis moins sévèrement que les prostituées», conclut-elle.
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