Mémoire du temps, souvenance d’un poète oublié

CHRONIQUE. En près de cinq décennies, je ne compte plus les lancements d’œuvres littéraires, les vernissages et les expositions d’art auxquels j’ai participé avec enthousiasme et qui m’ont impressionné et emballé. C’est en suivant avec intérêt les multiples salons du livre auxquels contribuaient mon fils Bryan Perro que je me suis fait la main, que je m’en suis nourri avec délice.

Le lancement du «Journal d’un citadin-cycliste en campagne», de l’auteur André-Jean Bordeleau, édité à la Société Scientifique Parallèle et qui a eu lieu à la Salle Théo-Lagacé de Shawinigan-Sud, ce vendredi 9 mai dernier, m’a particulièrement fasciné et ému.

Ce volume est une chaleureuse et reconnaissante mémoire du temps du glorieux passé de nos aïeux de chez-nous. Cette rencontre populaire fut rien de moins qu’une fête de village, un rassemblement qui a su provoquer l’émerveillement et l’enchantement au cœur et à l’esprit des êtres qui sont prêts de la nature champêtre et campagnarde. Personnellement, j’en fus séduit et hypnotisé par le déroulement aussi original qu’inédit de cette activité sous l’égide de la Société d’Histoire et de Généalogie de Shawinigan de sa présidente, Monique Duvot. L’œuvre de l’auteur nous fait bien la preuve que l’on est que la suite du monde qui nous a précédé.

Deux intervenants, virtuoses de la parole et de la musique, le chansonnier Jean Paquin et l’historien-guitariste Réjean Lefebvre, sont venus confirmer que la beauté, la douceur, la saveur et l’odeur du fruit littéraire de l’auteur André-Jean Bordeleau provient en somme du sol, de l’ensoleillement et de la pluie dont a joui au quotidien cet homme de lettres. La jonglerie des mots et des images que contient ce journal nous démontre comme un axiome que l’histoire de l’humanité doit d’abord prendre racine dans l’histoire de son propre patelin, précisément des rangs St-Michel, St-Pierre et St-Mathieu-ouest pour cet écrivain tout en émotion, tout en sensation. Près de 160 invités sont venus féliciter l’auteur, lui dire leur admiration et lui confirmer leur plus fraternelle affection. Ce volume est un bonheur personnel pour son auteur qui se transforme en un bonheur d’autrui pour le lecteur.

Souvenance d’un poète oublié

Lors de ce rendez-vous culturel, on a souligné avec prestance l’exceptionnelle présence de Raynald Roberge, ce versificateur lyrique, ce prosateur historique, ce promoteur artistique et scénique, unique en son genre, qui est cloué à un fauteuil roulant depuis plus d’une décennie, prisonnier de son corps parce qu’atteint de la maladie dégénérative du Légionnaire. Cette néfaste bactérie s’attaque au cervelet faisant perdre toute mobilisation jusqu’à la dextérité fine. C’est une lente et progressive décadence corporelle sans déchéance intellectuelle et spirituelle.

C’est avec enthousiasme et exaltation qu’il a dédié son œuvre littéraire composé de recueils de poème, de monologues, de chansons et de pièces de théâtre à la promotion de l’identité québécoise par la langue, à l’histoire de la Mauricie en mettant en relief son objet luxuriant de rassemblement, la majestueuse Rivière St-Maurice.

La plume de cet écrivain, jadis professeur de français et de littérature au Séminaire Ste-Marie, est davantage celle d’un minutieux ébéniste des mots qu’un charpentier rimailleur. C’est un artiste de la rime, un perfectionniste acharné du quatrain et de la prose.

Reynald fut l’instigateur, l’âme dirigeante et inspirante du premier Centre Culturel à Shawinigan, la vieille grange transformée en boite à chanson et baptisée L’Échanson (1966 à 1976). Ce nationaliste, allumeur et formateur de l’identité québécoise, possède d’incalculables productions littéraires, s’est mérité plusieurs attributions, mentions d’honneur et prix d’excellence pour ses écrits. Sur le monument commémoratif du Centenaire de Shawinigan au Parc St-Maurice, gravé dans le granite, on peut y lire en versification un texte de Reynald: «Des forêts aux grandes usines, avons planté nos racines, avons nourri le pays, d’métal et d’papier doux, et roule la rivière, où nos pères ont bâti, une terre de lumière. Cette rencontre fut un si heureux E.P.P. un Événement Providentiellement Planifié.