«Maudit qu’on est bien seul dans un truck!»

«Ma vision du métier de camionneur c’est la liberté. Être seul dans la machine et le faire pour le plaisir de conduire.»

Alain Gervais a pratiqué le métier de camionneur pendant 27 ans. Il a fait du transport local, du longue distance, du train routier et presque tout ce qui se fait dans le domaine du transport. Depuis 10 ans, il transmet sa passion aux étudiants de l’école du routier G. C. de Trois-Rivières.

«Mon père était conducteur de camion. C’est lui qui m’a donné la piqûre quand j’étais petit. On avait des camions dans la cour. Les enfants aiment avoir des petits camions, mais moi j’en avais des gros!», se souvient-il.

Dans la famille Gervais, le camionnage c’est une histoire de famille. Lui et ses trois frères ont suivi les traces de leur père.

«Conduire un camion c’est une passion. Pourquoi y-a-t-il des chauffeurs qui font des années dans le métier comme moi? Parce que ce sont des maniaques.»

Plus que de la conduite

Au cours de sa carrière, M. Gervais a fait entre 2 000 et 5 000 km par semaine. Dès l’âge de 15 ans, il conduisait les camions dans sa cour et c’est à 24 ans qu’il a commencé sur la route à temps plein.

«Le plus demandant c’est d’être loin de sa famille à cause des horaires. Je pense que c’est la grosse difficulté pour la majorité des camionneurs. S’il y a une grosse rotation de chauffeurs, c’est à cause des horaires qui ne sont pas fixes. Ce n’est pas évident.»

Au cours des 27 dernières années, le monde du camionnage a beaucoup changé selon lui.

Les normes sont plus strictes.

«Ça demande plus de connaissances qu’avant et c’est pour cette raison qu’il y a un diplôme d’études professionnelles qui se donne. Avant pour être camionneur tu devais simplement posséder un permis de conduire de classe un.»

Au début de sa carrière, il faisait en moyenne entre 75 et 80 heures par semaine. Malgré qu’il travaillait beaucoup d’heures, M. Gervais est d’avis que le métier était moins stressant.

«Quand j’ai commencé, c’était important de livrer à temps, mais aujourd’hui ce l’est encore plus. Les entreprises n’embauchent plus de chauffeurs qui n’ont pas de connaissances. La majorité des employeurs exigent un diplôme. Dans le cours on enseigne les normes relatives aux heures de services, la réglementation, les connaissances mécaniques et plusieurs autres aspects.»

Il affirme que la conduite ne représente plus le gros du travail de camionneur.

Imprévus

Le camionneur doit apprendre à prévoir l’imprévisible. Parce qu’il importe de livrer la marchandise à temps.

«Je me souviens d’un homme dans une imprimerie en Ontario qui m’avait expliqué que si la cargaison arrivait en retard, ça lui coûtait près de 10 000$ pour reprogrammer sa machine. C’est pourquoi il faut arriver à l’heure.»

Au Canada, un chauffeur ne peut pas conduire plus de 13 heures dans une même journée. Par contre, il existe des exceptions pour permettre au camionneur de déroger dans des cas exceptionnels. Ces dérogations peuvent aider à livrer à temps.

«Les heures de conduite sont plus respectées avec le nouveau règlement. Les entreprises de transport ne veulent même pas que les camionneurs dépassent les heures parce qu’il y a des pénalités au niveau de la Commission des transports.»

Rester vigilant

La conduite d’un camion et d’une voiture est très différente. Dans un camion il y a des angles morts partout. «En camion, tu dois toujours être à l’affut parce que tu ne vois pas toujours s’il y a une voiture devant toi. Un camion ça prend de quatre à cinq fois plus de distance de freinage qu’une voiture. Tous ces petits détails font partie du plaisir de conduire.»

Pour être camionneur ça prend de la patience, de la rigueur, un petit goût d’aventure et il faut aimer la machinerie. «C’est ce qui fait la différence entre ceux qui vont faire 10 ou 15 ans dans l’industrie et celui qui va rester deux ans. Il y a une grosse rotation de camionneurs de nos jours.»

Routes dangereuses

En ayant parcouru autant de routes, d’autoroutes, de villes et de villages, M. Gervais a vécu plusieurs situations où il a dû faire preuve de vigilance.

«Je me souviens d’une côte à Murdochville qui était dangereuse. Je m’en allais à Anse-Pleureuse en Gaspésie. La côte était sur la glace et je n’étais plus capable de freiner. Par chance, il y avait des bancs de neige. Avec le frein à main, j’ai réussi à m’immobiliser. J’utilisais le frein à main pour précipiter la remorque dans le banc de neige et c’est le banc de neige qui me ralentissait.»

Selon lui, la route la plus dangereuse c’est l’autoroute 401 entre Montréal et Toronto lorsqu’il y a de la glace. «C’est la route la plus achalandée en Amérique du Nord. Comme c’est glissant et qu’il y a beaucoup de circulation, les accidents impliquent toujours plus de deux voitures, c’est un paquet de monde.»

Les camionneurs sont confrontés à plusieurs difficultés. La fatigue au volant est l’une des bêtes noires des conducteurs.

«Ce n’est pas à cause des longues heures de conduite qui donnent la fatigue. Ce sont les heures irrégulières. T’essaies de dormir quand tu peux, mais quand tu dois dormir le jour tu n’as pas tout le temps un sommeil profond. Tu peux te reposer, mais la fatigue est là pareille.»

Entraide moins présente

En 27 ans, le monde du camionnage a changé. La confrérie des camionneurs est moins présente. Le sentiment d’appartenance et d’entraide entre camionneurs n’est plus aussi fort qu’avant.

«Quand j’ai commencé sur les camions on s’envoyait la main entre chauffeurs et quand on voyait un camion en panne on arrêtait pour donner notre aide. Maintenant, lorsque tu salues un chauffeur il se demande pourquoi. En l’espace de 10 ans, le nombre de camions a presque doublé sur les routes c’est pourquoi c’est plus impersonnel, je pense. Il y a 20 ans, tous les camionneurs se connaissaient. Avant tu ne voyais pas des chauffeurs se chicaner entre eux, maintenant ça arrive. L’entraide est moins présente.»

Depuis qu’il est enseignant, M. Gervais n’est plus sur la route. Il conduit des camions à l’occasion dans le cadre de ses cours. Malgré qu’il aime enseigner, il s’ennuie de conduire.

«Je suis allé chercher un camion à Drummondville et j’étais seul. Je n’avais pas envie d’arrêter à Trois-Rivières je voulais m’en aller à Toronto. Maudit qu’on est bien seul dans un truck!»