La parole aux « enfants invisibles »: des bandes dessinées sur la santé mentale

Jusqu’au 5 février, des planches de bandes dessinées portant sur différents aspects de la santé mentale ornent les murs du Caféier, au centre-ville. Ces bandes dessinées sont le fruit du travail de jeunes fréquentant Anna et la mer, un organisme offrant du soutien aux jeunes de 7 à 17 ans dont un proche vit avec une problématique de santé mentale.

Pendant cinq mois, ils ont été huit jeunes âgés entre 12 et 15 ans à s’impliquer dans le projet. Ils ont pris part à dix rencontres étalées sur neuf semaines. 

Il y a d’abord eu la création des bandes dessinées. Chaque jeune a choisi le titre, les couleurs et les histoires que leur inspirait la thématique de la santé mentale.

« Par exemple, ils pouvaient aborder un trouble de santé mentale, la santé mentale positive, etc. Les participants devaient ensuite écrire l’histoire et dessiner leur planche de bande dessinée. Ils ont tous consacré près de 25 heures à ce projet », souligne Sarah St-Louis, intervenante chez Anna et la mer.

Plusieurs d’entre eux se sont mis en scène dans leur bande dessinée. « Une participante a choisi de raconter l’histoire d’un dinosaure qui a peur de devenir comme ses parents. Au final, ses amis l’acceptent comme elle est. Dans une autre histoire, on retrouve un petit champignon. Il est le seul petit champignon du village. Le village est toujours triste, mais quand il joue de la flûte, son village devient heureux. Le petit champignon a toujours la pression de devoir jouer de la flûte que pour son village soit heureux. Ça vient en dire long sur le jeune et ça devient un outil intéressant pour comprendre les émotions du jeune en question », raconte Mme St-Louis.

Les bédéistes en herbe ont pu compter sur le soutien de Christian Proulx, grand passionné de bandes dessinées, et de l’artiste Benoît Laverdière qui ont partagé quelques astuces aux jeunes. 

Ce projet fut aussi l’occasion de collaborer avec le Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfance et la famille (CDEIF) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). La chercheuse Carolane Coulombe a pu assister aux rencontres de création et puiser des trésors d’informations. Le projet devrait faire l’objet d’un article dans une revue scientifique. 

Pour l’une des adolescentes participantes, le projet « Au-delà des pensées » lui aura permis d’exprimer pour la première fois ses émotions en lien avec le décès de ses parents. « Elle n’avait jamais trop voulu en parler. Sa BD est super touchante et elle s’ouvre pour la première fois sur ses sentiments et pourquoi elle se faisait du mal, comment tout ça l’a touchée. La bande dessinée est devenue un intermédiaire pour s’exprimer », confie Sarah St-Louis.

Les enfants invisibles

L’intervenante Sarah St-Louis se rappelle les propos d’un participant d’un précédent projet de photographie qui avait également été exposé sur les murs du café. Il avait dit: « Pour une fois, on se sent écouté par les grandes personnes ».

« On les appelle un peu les enfants invisibles parce que la personne atteinte dans leur famille prend souvent plus de place, explique Sarah St-Louis. C’est cette dernière qui est suivie généralement, mais on parle rarement de la vie de la personne qui cohabite avec elle. Par exemple, un parent qui est en dépression se sent tellement mal qu’il ne voit plus nécessairement que son enfant est en détresse. C’est pour ça qu’on utilise le terme enfant invisible. La plupart d’entre eux se referment sur eux-mêmes. »

Lorsqu’un enfant franchit la porte d’Anna et la mer pour la première fois, il n’est généralement pas capable de dire ses émotions.

« On travaille sur l’émotion de l’enfant face au comportement du parent pour, ultimement, modifier ce ressenti. On lui propose des outils pour mieux vivre avec ça. Il est beaucoup question de colère et de honte. Ce sont les deux premières émotions qui sont nommées, d’habitude, ajoute l’intervenante. Beaucoup ressentent de la honte parce qu’ils croient que c’est leur faute si leur proche ne va pas bien. Ils se disent que s’ils ont de mauvaises notes à l’école, leur parent n’ira pas bien. Ils ont souvent honte, ne parlent à personne de leur situation et deviennent invisibles, en quelque sorte. »

« C’est important qu’on les écoute. Ils ont beaucoup de choses à dire. Ces jeunes, pour la plupart, sont timides, mais à la fin du projet, ils étaient tellement fiers de ce qu’ils avaient accompli », poursuit-elle.

Un nouveau programme pour les adolescents

En février, l’organisme Anna et la mer lance un nouveau programme adapté aux adolescents de 15 à 17 ans qui ont un parent ou un proche vivant avec un trouble de santé mentale. Le groupe L’Ancrage prend la forme d’un groupe de discussion et d’échange entre pairs sur des sujets comme la santé mentale, les conséquences d’un trouble de santé mentale pour soi et pour les proches, le rôle de proche aidant, etc.

« C’est le premier groupe qu’on crée pour cette tranche d’âge, précise Sarah St-Louis. On suit des enfants de 7 à 17 ans, mais quand un adolescent de 15 ans nous appelait, on n’avait pas de trucs à lui offrir. Notre matériel était un peu enfantin pour lui. On a généralement quelques demandes par année pour cette tranche d’âge. »

C’est grâce à un Projet d’intervention dans la communauté de l’UQTR que le programme a pu être développé. Deux projets principaux seront proposés aux adolescents. Une étudiante du Conservatoire de musique guidera les jeunes dans l’apprentissage d’un instrument pour jouer une mélodie simple tous ensemble. « La musique peut aider à faire sortir toutes les émotions que l’on garde avant de retourner chez soi. On reprend aussi un projet de bandes dessinées avec eux et qu’ils pourront poursuivre de rencontre en rencontre. Il n’y aura pas de cahier à écrire. On mise surtout sur des activités pour amener des sujets de discussion », termine Mme St-Louis.

Les rencontres auront lieu les jeudis de 18h à 20h dès le 2 février. Notons qu’il est possible de joindre le groupe en tout temps à partir de cette date. Pour plus d’informations: 819 372-1105