«La culture générale, à quoi ça sert?»
Professeur: J’ai un chat siamois à la maison. Étudiant: «Vous avez un chat à deux têtes?!»
Pour plusieurs, un chat siamois et une basse-cour sont parfaitement définissables. Pourtant, la nouvelle génération n’est pas toujours au fait de ce qui peut sembler acquis aux yeux de leurs aînés.
Sommes-nous en voie de perdre nos classiques? La question mérite d’être posée, car aujourd’hui nous assistons à un essoufflement de la culture générale populaire telle que nous la connaissions.
L’Hebdo Journal a demandé à quelques spécialistes de la culture générale de bien vouloir exprimer leur point de vue.
«Pour les moins de 20 ans, c’est de l’abstrait»
«C’est un sujet d’une grande complexité qui fait intervenir le monde social ainsi que la formation des jeunes et des adultes. Ici, nous sommes dans une région où le taux d’analphabétisme et d’illettrisme dépasse le 50%. Ce n’est rien pour redorer les connaissances générales de la nouvelle génération. Je ne pointe pas du doigt les jeunes, car ils vivent dans un monde où on utilise l’éphémère à toutes les sauces», expose Pierre Letarte, coordonnateur du programme sciences, lettres et arts du Cégep de Trois-Rivières.
«Les connaissances générales globales sur le monde, sur l’univers, qu’on devrait tous savoir, ce n’est pas quelque chose de palpable ni d’utilisable. Pour les moins de 20 ans, c’est de l’abstrait alors qu’ils veulent de l’immédiat, du terre à terre. Il ne faut pas généraliser, mais la tendance est là. Ils ne prennent pas conscience de l’importance de la connaissance, car ce n’est pas palpable pour eux», ajoute-t-il.
«Lorsqu’on parle de culture générale, on fait habituellement référence à un ensemble de connaissances de base dans des domaines intellectuels considérés comme importants. On s’attend notamment à ce que l’institution scolaire et les institutions d’éducation non formelles, comme les musées, éduquent les citoyens à ces formes de culture jugées plus valables que d’autres. Ce n’est pas parce qu’on a accès à plein d’informations sur Internet qu’on est éduqué à quoi en faire», mentionne Jason Luckerhoff, professeur au Département de lettres et communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
La culture se métamorphose
De son côté, Dominique Comtois, professeur de sociologie au Cégep de Trois-Rivières, soutient que la culture générale des jeunes adultes est en pleine métamorphose.
«C’est une question qui revient régulièrement. La culture générale fait référence à la culture du monde qui nous entoure au niveau artistique, linguistique, historique, etc. C’est là qu’il est important de faire une distinction. La culture des jeunes d’aujourd’hui est différente de ce qu’elle était avant. On entend souvent dire qu’ils connaissent peu leur histoire. On en a la preuve en nommant des personnages marquants. C’est la même chose au niveau politique. Par contre, ils ont beaucoup plus voyagé que leurs parents alors leur connaissance du monde sera principalement au niveau du vécu plutôt qu’au niveau des connaissances théoriques», indique-t-il.
«Un autre élément qu’il faut ressortir est: la culture générale, à quoi ça sert? On se fait demander à quoi ça sert d’être cultivé? À quoi ça sert de prendre le temps de lire des classiques? On pèse rapidement sur la gâchette pour accuser les jeunes, mais quand on regarde la société dans laquelle ils ont été socialisés on peut comprendre bien des choses. Je la qualifie d’utilitariste, car tout ce qu’on fait doit servir à quelque chose. C’est contre ça qu’on doit constamment se défendre au cégep», ajoute M. Comtois.
Création d’un fossé intergénérationnel
D’après les intervenants, la façon d’enseigner, les plans de cours, la composition des programmes d’études et la formation des enseignants sont en bonne partie responsables des changements observables dans l’apprentissage de la culture générale des jeunes.
«Aujourd’hui, les jeunes qui sortent de l’école primaire ont entre 8000 et 10 000 heures de moins de cours que j’en avais à leur âge. En faisant abstraction de ça, je ne suis pas contre les journées et les sorties pédagogiques, mais on devrait davantage se concentrer sur la formation des jeunes et aussi celles des maîtres. C’est une aberration, car les plus faibles au niveau collégial choisissent l’éducation à l’université et deviennent professeurs», constate M. Letarte.
«Il ne faut pas jeter le blâme aux jeunes. Oui, ils ont du chemin à faire, mais il faut se poser des questions en tant que société et ce qu’on véhicule d’où l’importance de l’éducation. On a diminué les heures de cours et là, on récolte ce qu’on a semé», met au fait M. Comtois.
«Je pousserais la question en demandant ce que font les institutions pour transmettre cette culture générale? Il ne fait aucun doute qu’elle est différente, car nous avons cessé d’enseigner certains types de formations. Aujourd’hui, les étudiants sont plus spécialisés et les horizons sont moins larges. La pression est forte sur les universités pour qu’elles offrent des formations de plus en plus pointues et je ne suis pas certain que c’est la bonne façon. Ce n’est pas favoriser la débrouillardise», communique M. Luckerhoff.
Une autre explication est avancée par le coordonnateur du programme sciences, lettres et arts. Celle-ci fait référence à l’écart qui ne cesse de s’accroître entre les mieux et les moins bien nantis.
«Le monde est en train de se diviser en deux entre des gens un peu plus aisés et une autre portion plus pauvre, mal formée. J’enseigne au collégial depuis plus de 20 ans et je m’aperçois que chez les jeunes, certains sont plus éveillés qu’avant, avec une meilleure formation générale que leurs prédécesseurs. D’un autre côté, il y en a qui sont de moins en moins bien formés, qui proviennent de milieux socio-professionnel un peu plus chaotiques. Ce n’est pas rare de voir des jeunes vivre dans une maison sans livre, sans savoir, sans accès à ces connaissances générales. Souvent, une portion de la société se complait dans cette situation. Aujourd’hui, la moyenne dans un groupe est de moins en moins représentative», fait observer M. Letarte.