Il trouve refuge à Trois-Rivières

La Colombie est un pays violent. Le prix d’une vie humaine est relatif pour les guérilleros d’un côté et les groupes paramilitaires de l’autre. Coincé entre les deux, le journaliste Ivan Suaza a pris la fuite.

À Cali, ville située dans la Cordillère des Andes, Ivan était journaliste et chef de pupitre au journal El Pais. Il oeuvrait au sein d’une équipe de recherchistes. Poste névralgique s’il en est un dans un pays où le meurtre est presque banal.

«J’ai choisi de venir au Canada car on me disait que c’était un pays très tranquille. Trois ou quatre jours après mon arrivée, les médias annoncent qu’un journaliste venait de recevoir plusieurs balles dans le dos à Montréal. Mon ami qui m’avait accueilli s’est empressé de m’appeler pour me dire : « Écoute, c’est très rare que l’on tire sur des journalistes ici. Tu faut que tu me crois!»

Ivan faisait allusion à la tentative de meurtre contre le journaliste Michel Auger dans le parking du Journal de Montréal au début des années 2000.

Il faut travailler

Une fois à Trois-Rivières, Ivan se met à l’étude du français. Puis, il cherche un boulot pour faire vivre sa famille. Il présente son CV à une entreprise se spécialisant dans la fabrication de papier d’emballage. On lève le nez sur le CV : « Vos qualifications sont trop grandes pour le poste, dit-on, on ne peut pas vous prendre. » Irrité, Ivan reprend son CV et déchire la partie renfermant ses qualifications. « Comme ça, ça va? » demande-t-il. On l’embauche immédiatement.

Il fait d’autres petits boulots et enseigne l’espagnol au Collège Laflèche. Bénévole dès son arrivée au Service d’accueil des nouveaux arrivants, Ivan franchit toutes les étapes et se retrouve directeur général.

Toute sa famille s’implique dans l’organisme, y compris sa fille de dix ans qui donne un coup de main comme bénévole. Elle a d’ailleurs pris part à la Marche pour la solidarité du réfugié en juin dernier.

De retour chez lui

Bien sûr, l’intégration à la société québécoise n’a pas été de tout repos. L’exil n’est facile pour personne.

« Entre 2000 et 2006, raconte Ivan, je pensais continuellement à retourner en Colombie. Je voulais retourner chez moi. Finalement, j’y suis retourné en 2006. Une fois là-bas, j’avais hâte de revenir au Canada.

« Lorsque je vivais en Colombie, j’avais emmené ma femme sur une colline qui surplombe la ville de Cali. Je lui avais dit combien j’aimais ma ville. Quand je suis retourné à Cali en 2006, j’ai dit à ma femme que je me sentais infidèle. Elle m’a regardé, inquiète. Je lui ai dit : « Je m’ennuie de Trois-Rivières. » Maintenant, si je suis à Montréal ou à Québec, j’ai hâte de revenir à Trois-Rivières. Trois-Rivières est devenue ma ville. »

Québécois à part entière

Ivan s’est acheté une maison dans le secteur Cap-de-la-Madeleine. « Lorsque j’ai déménagé, les voisins étaient un peu inquiets », raconte-t-il. « On leur avait dit que des Latinos venaient s’installer près d’eux. Ils avaient peur que l’on soit bruyant. Le jour du déménagement, il y avait une longue file d’autos dans la rue, tous des amis venus m’aider. C’était la fête! À la fin de la journée, comme tout bon Québécois, nous nous sommes payé une grosse pizza. Mais à 20h, tout le monde était parti. C’était devenu tranquille. Plus tard, mes voisins m’ont dit avoir eu peur que le brouhaha de la journée ne se prolonge. »

Ivan assure que tous ses voisins le voient maintenant comme un Québécois à part entière. « Je ne suis plus un immigrant depuis longtemps.»