Sors ton vocal: ces messages vocaux qu’on envoie au lieu d’écrire
La professeure en linguistique à l’UQTR, Anne-Sophie Bally, a lancé le projet d’étude Sors ton vocal. Elle veut analyser la façon dont les Québécois et Québécoises utilisent les messages vocaux comme façon de communiquer relativement nouvelle qui pourrait en révéler beaucoup sur le français parlé en usage au Québec.
Nos téléphones cellulaires ainsi que différentes applications nous permettent d’envoyer des messages vocaux au lieu d’écrire des messages, ce que certaines personnes trouvent plus pratique ou plus facile.
“Je veux regarder qu’est-ce qui motive les gens à s’échanger ce type de messages, indique la professeure en linguistique responsable du projet, Anne-Sophie Bally. Qu’est-ce que ça apporte à la communication que la communication par textos n’offre pas? Je demande à mes participants premièrement pourquoi ils choisissent d’envoyer un texto vocal plutôt qu’un texto écrit. Et surtout, je leur demande pourquoi envoyer un texto vocal plutôt que de simplement téléphoner à la personne. Les jeunes détestent le téléphone, ça revient extrêmement souvent, cette réponse-là. Les jeunes pensent qu’ils vont déranger. Il y a un rapport à la conversation téléphonique qui est en train d’être bouleversée.”
Encore plus préoccupants, les gens veulent dire quelque chose à quelqu’un mais ne veulent pas converser avec cette personne.
“Les gens ne veulent pas parler au téléphone. Ils disent: je veux lui dire quelque chose, mais je ne veux pas avoir de discussion. Le vocal permet d’avoir une interaction orale sans discuter et c’est ce que les gens trouvent attirant dans ce mode de communication.”
Dans son analyse, la professeure cherche à comprendre les raisons qui poussent les gens à enregistrer des messages vocaux plutôt qu’à écrire des messages par texte.
“Il y a des raisons très pratico-pratiques: je suis au volant, c’est plus facile pour moi d’envoyer un vocal, ou des raisons liées à un handicap. Des personnes plus âgées l’utilisent, c’est une alternative qui est appréciée. Sinon, les gens disent qu’ils n’aiment pas écrire. D’autres ont un peu honte de leur écriture, mais ce n’est pas la raison principale. La raison est presque égoïste. C’est parce que c’est plus rapide pour eux que de texter. Les gens qui reçoivent ces messages trouvent qu’on leur vole du temps parce que c’est long à écouter.”
La professeure s’intéresse à l’analyse de la structure du langage parlé au Québec.
“On est rendu à la fin du premier quart du XXIe siècle, mais il s’est passé énormément de choses sur le plan social. C’est donc de voir si les tendances observées se poursuivent avec soit un maintien, soit une perte de certains traits.”
Elle a identifié plusieurs phénomènes syntaxiques dont elle souhaite observer l’évolution, comme la disparition du NE marquant la négation.
“Les Québécois omettraient complètement le NE de négation. Il aurait quasiment disparu de l’oral. Le français du Québec change. Il est traversé à la fois par des nouveaux mouvements migratoires et un plus gros contact avec le monde numérique, par exemple par les réseaux sociaux, par YouTube, des influenceurs. Je me demande si les traits qu’on voyait disparaître du français québécois sont toujours en voie de disparition, s’ils sont stabilisés ou s’ils réapparaissent parce qu’ils sont en contact avec des variétés qui les utilisent plus.”
Parmi ses plus récentes observation, elle s’intéresse au fait que les jeunes ne conjuguent plus certains verbes issus de l’anglais.
“C’est plutôt récent. Il y a toujours eu des emprunts à l’anglais, mais il y avait intégration morphologique, ça veut dire qu’on le faisait entrer comme un verbe en ER. Le verbe googler, on est capable de le conjuguer. Là, c’est un phénomène assez peu compris pourquoi les jeunes ne conjuguent plus, mais ça pourrait s’intégrer dans un mouvement beaucoup plus ancien. Le système de conjugaison du français est en train de migrer vers un système de verbes qui restent à l’infinitif. Par exemple, pour faire le futur, les Québécois utilisent plus fréquemment à l’oral le futur proche, comme dans ”je vais partir” plutôt que ‘je partirai”. La distinction entre proche ou pas proche est en train de disparaître. Le futur proche est en train de devenir le futur par défaut. Ce qui est intéressant par rapport à notre affaire de verbes conjugués ou pas, c’est que quand on utilise un futur proche, on n’a plus besoin de conjuguer le verbe, on a juste besoin de conjuguer ”je vais”. Ça ferait décroître le besoin de conjuguer les verbes. C’est pour ça que les jeunes auraient peut-être moins tendance à les conjuguer.”
Mme Bally poursuit sa récolte de messages vocaux jusqu’à la fin avril afin de varier l’échantillon pour qu’il soit représentatif au niveau du revenu, du niveau d’éducation et du lieu de résidence des participants.
Vous pouvez suivre les avancées de son projet d’étude sur Sorstonvocal.ca.
