Se donner le moyen de confronter le deuil

DEUIL. Sujet délicat, souvent abordé avec des pincettes par peur de blesser, le deuil demeure un grand tabou encore aujourd’hui. Si tout le monde y est confronté un jour ou l’autre, peu sont à l’aise d’en parler… et d’en entendre parler.

Qu’il soit en lien avec la perte d’un être cher, d’un emploi, d’autonomie ou autre, le deuil affecte, et peut même laisser des traces. Parlez-en, par exemple, à Karine Leclerc, qui a perdu une bonne douzaine de proches, dont ses parents, avant l’âge de 25 ans. «Mon père biologique est décédé quand j’avais environ un an et demi. Mon père adoptif a suivi quand j’avais 8 ans. Dix ans plus tard, c’était au tour de ma mère, sans compter tous les autres décès survenus [entre-temps et après]…», raconte-t-elle.

Devenue orpheline à l’aube d’être une adulte, la Trifluvienne, aujourd’hui âgée de 41 ans, a vécu une période de tempête. «Ma personnalité a littéralement changé. J’avais peur de tout. Je me suis renfermée sur moi-même car je voulais me protéger. Autour de moi, j’envoyais le message que je n’avais besoin de personne, même si c’était complètement faux.»

Il lui a fallu quatre bonnes années après la mort de sa mère pour se sortir du tourment, ne se reconnaissant tout simplement plus. Pour faire le point  sur ce qu’elle était devenue et tenter de comprendre ce qui avait provoqué ce changement, elle a consulté des spécialistes et s’est intéressée aux relations d’aide. «Ça m’a permis de faire la paix avec moi-même», souligne-t-elle.

Tabou

De leur côté, Véronique Pinard et Audrey Senneville ont chacune perdu leur père au cours des dernières années. «Un deuil, c’est long. Et ça prend beaucoup de place, exprime Véronique. J’ai trouvé ça difficile quand mon père est parti, il y a sept ans, et ma mère a eu encore plus de peine, je crois. Ça m’a beaucoup affectée de la voir souffrir autant.»

«Un deuil, ce n’est jamais terminé, croit Audrey. On apprend à vivre avec, car divers événements de la vie nous rappellent constamment l’absence de l’être perdu.»

Les trois femmes font le même constat: le deuil, c’est tabou. Les émotions et la mort aussi, ajoute Karine. Elles s’entendent aussi sur le fait qu’il manque cruellement de ressources pour les personnes endeuillées. Et c’est désolant, car les occasions d’en parler s’estompent aussi au fil du temps. «Au début, les gens sont attentionnés et à l’écoute. Mais après quelque temps, ils passent à autre chose. La vie continue», soulève Véronique.

Cafés mortels

Pourtant, parler de son deuil fait toujours du bien, même des années plus tard. Afin d’offrir l’opportunité aux gens de s’exprimer et de vivre leurs émotions sans retenue, Karine Leclerc a décidé d’organiser des rencontres entre personnes endeuillées, qu’elle appelle «Cafés mortels». Une fois par deux mois, depuis juin dernier, les personnes qui en ressentent le besoin se retrouvent au Café Macaron, voisin du St-Hubert de la rue des Forges, pour échanger. Ils y trouvent les oreilles attentives et compréhensives qui font tant de bien.

«Les rencontres sont ouvertes à tout le monde. Les gens y viennent pour échanger sur la mort et ce qui lui est reliée et pour rencontrer d’autres personnes pour qui parler de la mort et du deuil n’est pas tabou», mentionne Karine.

Chaque rencontre est unique. Aucun sujet n’est fixé à l’avance. «On vit le moment présent avec les participants, tout simplement. Il est bon de préciser qu’un café mortel, c’est un espace de partage, et non une thérapie de groupe», nuance-t-elle.

«Les gens sont là pour raconter, pour s’exprimer et pleurer, ajoute Véronique Pinard. Tout ça sans jamais avoir le sentiment d’être jugé. Ça fait du bien.»

«C’est un endroit où on donne et où on reçoit beaucoup à la fois, renchérit Audrey. Chacun est libre de parler ou pas. Les gens écoutent et surtout, comprennent. On peut s’ouvrir et être vulnérable sans gêne.»

«Les histoires qu’on entend sèment l’espoir et permettent de voir la vie autrement. C’est beau de voir qu’une personne est rendue à s’ouvrir et à aller chercher de l’aide pour faire ce fameux pas vers la résilience», conclut Karine.

 

Le saviez-vous?

Les Cafés mortels s’inscrivent dans un mouvement qui existe déjà en Europe et qui commence à percer au Québec.