Refaire sa vie

DOSSIER. Rana Al-Khateeb et Adis Simidzija sont de ces Trifluviens d’adoption qui ont dû fuir leur pays en raison des guerres et des conflits qui y sévissent. Rana a fui l’Irak en 2006, puis la Syrie en 2014, tandis qu’Adis a quitté la Bosnie-Herzégovine il y a près de 19 ans, alors qu’il était âgé de neuf ans. Son père a été tué lors de la guerre en 1992.

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Lors d’une conférence donnée à l’Université du Québec à Trois-Rivières, ils en avaient long à raconter sur leur vécu et sur la situation des réfugiés en général.

«C’est difficile de recommencer, lance Rana, dans un français tout à fait compréhensible. Après deux ans ici, j’ai encore de la difficulté à accepter ma nouvelle vie. Je suis restée dans ma chambre pendant un an. Je sortais juste pour aller à l’école. Ma vie d’avant me manquait. J’avais perdu confiance. C’était dur.»

Adis, lui, était peut-être trop jeune pour réaliser l’ampleur du défi qui attendait sa famille. Il s’est rapidement intégré, mais il a réalisé des années plus tard tous les sacrifices faits par sa mère afin que son frère aîné et lui aient une vie meilleure: «Ma mère a arrêté de penser à elle-même. Dans un contexte de guerre, son seul but était la survie de ses enfants. Les amener dans un "ailleurs" qui serait mieux. Heureusement, on avait de la famille ici. Ça a sûrement orienté sa décision.»

Une décision extrêmement difficile, avec des conditions qui l’ont été tout autant, ajoute le Trifluvien: «On a vécu dans un environnement plutôt… restreint. On était quatre dans un 1 ½ au départ. On est arrivé avec rien et on est resté longtemps avec rien. Je pense que ma mère a eu des regrets pendant plus de 16 ans de nous avoir emmenés ici», juge-t-il.

Sa famille est arrivée au pays avec une dette d’environ 5000$. «En métaphore, on dit que les réfugiés repartent de zéro. Mais en réalité, on repart plutôt dans le négatif. Vous savez, il faut qu’on rembourse le coût des billets d’avion pour venir ici. Le gouvernement nous fait un prêt. On paye quelque chose pour venir ici. On paye!», insiste-t-il.

Le Canada est d’ailleurs le seul pays ayant signé les conventions de Genève de 1949 qui fait payer ses réfugiés. «Les autres les accueillent gratuitement», confirme le Service d’accueil aux nouveaux arrivants de Trois-Rivières.

Avoir les bleus

Si l’espoir d’une vie meilleure guide les réfugiés, il n’en demeure pas moins que, dans la plupart des cas, c’est à contrecœur qu’ils quittent leur patrie. Oui, ils laissent derrière eux souffrance, horreur, torture, etc., mais également amis, famille et maison.

De plus, ça prend du temps avant de se sentir réellement chez soi ailleurs. Il faut d’abord apprivoiser de nouvelles valeurs, de nouvelles façons de faire, de nouvelles coutumes, un nouvel environnement, un nouvel appareil gouvernemental et, souvent, une nouvelle langue. Les défis sont immenses. Pas étonnant que plusieurs finissent par avoir le mal du pays, tôt ou tard.

«Moi, ça ne m’a pas manqué pendant 17 ans. Cependant, j’ai eu un peu le blues l’an dernier, confie Adis, qui a encore de la famille en Bosnie. Je vais y retourner pour la 1re fois dans la prochaine année. J’ai obtenu une bourse d’études pour y aller.»

Il s’y rendra seul, «un peu comme un pèlerinage», indique celui qui dit porter son pays à travers sa mère, son lien avec elle et la langue serbo-croate qu’il parle encore couramment.

Rana affirme qu’elle retournera elle aussi dans son Irak natal un jour. Mais comme touriste seulement. «L’Irak me manque. Tout le temps. Mais je réalise que la communauté là-bas n’est pas ouverte, et qu’elle juge beaucoup les gens. Aujourd’hui, je me considère chanceuse, car j’ai deux pays: le Canada et l’Irak. Et je n’oublie pas non plus la Syrie, là où ma vie a été changée la première fois», conclut-elle.