Quand les dindons débarquent en Mauricie
AGRICULTURE. C’est presque devenu commun. Des dindons sauvages sont quotidiennement capturés sur le vif alors qu’ils traversent la rue en bande, en campagne comme à la ville. Mais trop souvent, ces énormes volatiles ne se contentent pas que de prendre du bon temps. Bien au contraire, le dindon serait « la nouvelle bête noire » des agriculteurs de la région, met en garde l’UPA Mauricie.
Ils se sont tant multipliés au Québec qu’ils envahissent désormais les champs des agriculteurs, causant sur leur passage bien des maux de tête à ces derniers. Récoltes détruites, plants saccagés et balles de foin éventrées ; ce sont là que quelques exemples de la carte de visite que laissent derrière eux ces gros oiseaux – leur hauteur atteint plus d’un mètre –.
Selon le président de l’Union des producteurs agricoles de la Mauricie, Jean-Marie Giguère, une quarantaine d’évènements impliquant une visite destructive a été répertoriée au cours des quatre dernières années dans la région.
Marie-Christine Brière de chez Pro-Champs est au nombre de ces agriculteurs aux prises avec une invasion de dindons sauvages sur ses terres. La ferme familiale de production de pommes de terre, située à Notre-Dame-du-Mont-Carmel, est bordée d’un petit boisé. Et comble de malheur, il semblerait que ce soit justement l’habitat de prédilection de ces bêtes.
Chaque printemps, ils sont de plus en plus nombreux, a-t-elle constaté. « En fait, j’ai arrêté de calculer lorsque j’ai atteint une centaine », s’est découragé la maraîchère. Leur péché mignon ? « Ils mangent les plants de patates qui commencent tout juste à sortir de terre. Pour eux, c’est une sorte de petite gâterie. » Mais pour elle, cela n’a rien d’une partie de plaisir.
« Ça devient un véritable problème », a fait valoir Mme Brière. C’est qu’une fois un plant arraché, il est déjà trop tard pour le remplacer par de nouvelles semences. « Les pommes de terre ne seront pas toutes au même stade », explique-t-elle. Cette dernière n’a toutefois pas été en mesure de chiffrer ses pertes. Chose certaine, cela a un impact sur sa production.
Quelques kilomètres plus à l’est dans la MRC des Chenaux, arrivée à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, une autre ferme fait elle aussi face à une situation quasi semblable.
« Il y a deux ans, une vingtaine de dindons sauvages ont ravagé une partie de notre récolte de melon », a raconté la copropriétaire des Jardins bio Campanipol, Florence Lefebvre St-Arnaud. Tout comme sa consoeur, elle s’inquiète de la multiplication de ces oiseaux nuisibles.
Ailleurs, notamment dans la municipalité de Saint-Adelphe, ce sont les balles de foin qui sont prises pour cible. Les dindons ont la mauvaise habitude de percer l’emballage de plastique. Une fois en contact avec l’air, le foin est déclaré perte totale. « Lorsqu’ils vont picoter un emballage de 32, à 50 $ la balle, la facture grimpe vite », a soutenu le président de l’UPA Mauricie.
Mais comment les faire fuir ?
Les producteurs n’ont pas manqué de méthodes et d’imagination par le passé pour essayer d’éloigner l’animal. Rien ne fait. Leurs efforts ne suffisent pas à déloger l’ancêtre de la dinde de Noël de leurs terres. Ils se sont visiblement bien adaptés à leur nouvel habitat. Peut-être même trop de l’avis des agriculteurs.
« Au départ, j’ai tenté de les chasser en les poursuivant avec ma voiture », s’est rappelée en rigolant Marie-Christine Brière. Sa tactique n’a rien donné. « Ils ne fuyaient que de quelques rangs. »
Par ailleurs, puisque le gouvernement considère le dindon comme un gros gibier, au même titre que le chevreuil et l’orignal, « on ne peut pas utiliser de fusils à balles criantes pour les faire fuir, comme avec les autres oiseaux nuisibles », s’est désolée la productrice.
L’UPA est en discussion avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec afin de modifier la classification.
Une chasse populaire, « mais trop stricte »
L’une des solutions pour mettre fin à ce fléau réside dans la chasse, affirme le président de l’UPA Mauricie. La chasse printanière au dindon sauvage est de nouveau permise depuis 2008 et elle ne cesse de faire de nouveaux adeptes. En 2016, un nombre record de 14 266 permis a été délivré, soit une augmentation de 16 % comparativement à la saison précédente.
« Mais les modalités n’ont cependant jamais été changées. L’activité est beaucoup trop stricte », a dénoncé Jean-Marie Giguère.
Présentement, seuls les mâles peuvent être abattus, à raison de 12 à 22 demi-journées selon la zone ; on comprend donc qu’on ne peut pas se débarrasser de ces bêtes comme bon nous semble. Dans certaines régions, les chasseurs peuvent depuis peu repartir avec une récolte de deux prises. En Maurice, la limite a été maintenue à un seul dindon.
Le gouvernement du Québec a perdu le contrôle, ne s’est pas gêné pour dire M. Giguère. Un avis partagé par Marie-Christine Brière de terre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel.
L’UPA demande depuis au moment déjà à Québec d’ajouter une période de chasse à l’automne en plus de permettre l’abattage contrôlé des femelles. « Si on ne fait rien, l’espèce va poursuivre sa croissance rapide. Ça va être de pire en pire », prévient M. Giguère, précisant qu’une femelle met au monde une dizaine de dindons par portée.
Sur son site web, le ministère indique que « l’exploitation de l’espèce pendant la saison de l’automne doit toutefois être appliquée avec prudence et uniquement après une analyse de faisabilité ». Un plan de gestion du dindon sauvage 2016-2023 est d’ailleurs en œuvre afin de mieux encadrer l’exploitation de l’espèce.
Bilan 2016 de la chasse au dindon sauvage
– 14 266 permis vendus
– 5 884 dindons sauvages abattus
– 31 % des chasseurs ont récolté au moins un oiseau
– 10 % des chasseurs ont récolté deux oiseaux
– 5 millions de $ de retombées économiques