Mamans et élues à temps plein

CONCILIATION. D’abord, elles sont maman d’un et de deux enfants, puis élues municipales à l’agenda aussi chargé que celui d’un premier ministre. Pendant que plusieurs font un « X » sur la vie politique à l’arrivée de bébé, c’est le moment qu’elles ont choisi pour faire le grand saut.  

Notre rendez-vous, orchestré au téléphone, a lieu aujourd’hui, par un mardi ensoleillé. Le premier après des jours et des jours d’averses. Tout comme leurs homologues masculins, les conseillères municipales de Trois-Rivières n’ont d’ailleurs pas chômé au cours des dernières semaines pour venir en aide aux citoyens.

Sabrina Roy venait tout juste de ranger ses bottes de pluie lorsqu’elle est arrivée à notre point de rencontre, au parc Champlain, à quelques pas de l’hôtel de ville. Il est 14h et sa journée est déjà bien entamée. Dans une heure, elle ira chercher son fils à la garderie.   

La fière représentante du district du Sanctuaire a donné naissance à son premier garçon en plein milieu de son mandat, le 11 juin 2015. Les deux pieds dans la trentaine, il n’était pas question pour elle de mettre en veilleuse son projet de famille en raison de sa carrière en politique. Ni le contraire.

Pas de congé de maternité. Rien. Malgré une grossesse difficile, admet-elle, la jeune femme n’a pas pris de vacances. Elle était présente lors des réunions à la Ville de Trois-Rivières. Ses électeurs pouvaient facilement lui faire part de leurs préoccupations en continu grâce aux réseaux sociaux.

« J’étais encore à l’hôpital, quelques heures à peine après l’accouchement, et je rappelais des citoyens », se souvient-elle en riant. « Quand tu aimes ce que tu fais, ça te fait plaisir de le faire! »

L’été suivant, Québec a instauré un congé parental de 18 semaines pour tous les élus municipaux. Un premier pas pour faciliter la conciliation travail-famille. « Mais de toute façon, je n’en aurais pas bénéficié », lance celle qui ne tient pas en place.

Et puis, « qui s’occuperait de mes dossiers si je m’absentais » ? Les élus municipaux n’ont pas de remplaçant. Lorsqu’ils sont absents, il n’y a personne pour faire entendre la voix des électeurs de leur secteur. 

Comme d’autres femmes avant elle et d’autres après elle, « j’ai amené mon bébé dans des réunions », raconte la maman du petit Zak, aujourd’hui âgé de deux ans. « Son petit attaché politique », comme elle aime si bien l’appeler, l’accompagne encore souvent lors de divers évènements.

C’est aussi le cas de sa collègue du district de Chavigny. Marie-Claude Camirand est mère d’un garçon de 12 ans et d’une fille de 10 ans. Bien que sa réalité soit quelque peu différente, elle avait déjà décroché le rôle de maman avant de se lancer en politique, les contraintes n’en demeurent pas moins réelles. Elle avoue d’ailleurs avoir longuement réfléchi, et finalement, après de nombreuses lectures et d’ateliers, une décision a été prise.

Lors de son premier mandat, en 2009, ses enfants étaient tous les deux à la garderie. « Bien sûr, ça m’est arrivé souvent de les amener avec moi lors de certaines réunions que je ne pouvais pas manquer. Mes collègues savaient que je venais avec une réalité, soit celle d’avoir de jeunes enfants», a-t-elle indiqué.

Même une fois en âge d’aller à l’école, il faut composer avec les journées pédagogiques, l’été –les enfants sont en vacances–, sans oublier tous les imprévus, comme la grippe de l’un et le mal de ventre de l’autre.

Des journées bien chargées

Une réunion par-ci, une autre par-là et des engagements qui se multiplient. Être conseillère, c’est un travail à temps plein, 24 heures par jour, 7 jours sur 7. La plupart ont aussi un autre emploi, les jours de semaine. Maintenant, fermez les yeux et imaginez une jeune maman dans ce rôle. 

« Concilier une vie familiale à travers tout ça, c’est difficile, mais ce n’est pas impossible », concède Sabrina.

Mais justement, comment y arrivent-elles ? Le secret, c’est l’entourage, nous révèlent les deux mamans. D’abord, il y a le conjoint compréhensif, la super nanny et les grands-parents toujours prêts à courir à la rescousse.

Il faut faire des sacrifices, quelquefois. « J’ai dû faire des X sur des moments qui ne reviendront probablement jamais, mais j’ai choisi de faire de la politique. Tout comme j’ai choisi d’être maman. J’essaye de trouver le bon équilibre entre les deux », a expliqué Sabrina.

Des regrets persistent aussi, parfois. « Je pourrais être beaucoup plus présente pour faire les suivis avec l’école si je n’étais pas en politique municipale. Heureusement, je parviens à m’organiser autrement avec l’aide précieuse de la grand-maman », ajoute pour sa part Marie-Claude. Les fins de semaine sont exclusivement consacrées aux enfants. Et s’il y a un évènement à ne pas manquer, souligne-t-elle, tout le groupe suit.

Malgré tout, les deux Trifluviennes n’abandonneraient pas la vie politique de si tôt. Elles brigueront d’ailleurs un autre mandat dans leur district respectif aux élections municipales en novembre 2017. 

Encore du chemin à faire

Bien qu’il existe une foule de raisons pour expliquer cette faible proportion de femmes en politique –elles représentent 32 % des conseillers au Québec–, Sabrina et Marie-Claude ont toutes les deux mentionné les difficultés à jongler entre le travail et la vie de famille. 

Parmi les huit grandes villes, c’est Trois-Rivières qui fait moins bonne figure avec seulement quatre femmes pour seize sièges d’élus municipaux, révélait en avril dernier le journal L’actualité.

« Ce n’est pas qu’il y a peu de mesures pour faciliter cette conciliation. Il n’y en a pas du tout », tranche la représentante du district Chavigny. Il n’y a même pas de table à langer à l’hôtel de ville.

La politicienne voudrait une plus grande ouverture à la table du conseil. Les réunions sont souvent en soirée ou encore très tôt le matin, à l’heure d’aller déposer les enfants à l’école. « Est-ce qu’on ne pourrait pas ajuster les heures de certaines réunions, par exemple ? »

Une halte-garderie lors des soirs de conseil pourrait aussi être une avenue à envisager. Quand le conjoint est à la maison, il n’y en a pas de problème. Mais lorsqu’il travaille de nuit, comme c’est le cas pour les deux conseillères, la situation se corse.

« Ça prend une mixité dans un conseil de ville pour bien représenter la population. Actuellement, il y a seulement 9 % des gens entre 18 et 24 ans qui se sont présentés au municipal », cite Sabrina. Il est temps de repenser nos façons de faire si l’on souhaite voir plus de jeunes, hommes et de femmes, s’impliquer en politique, termine-t-elle.