Des enjeux face à l’adoption de l’hydrogène vert dans le transport lourd

L’électrification du transport lourd sera un enjeu important dans les prochaines années pour atteindre les cibles de décarbonation fixées par le gouvernement. Les résultats d’une étude menée auprès des entreprises de transport lourd portant que le potentiel d’adoption de l’hydrogène vert dans le transport lourd et de longue distance ont été dévoilés.

L’étude met notamment de l’avant la perception de l’hydrogène vert dans l’industrie du transport lourd. 

« Ce qu’on constate, c’est que pour eux, c’est encore dans l’inconnu et dans le très long terme. Souvent, c’est une option qui n’était même pas considérée. On voit tout de même une ouverture. Ils nous posaient plein de questions en lien avec les coûts des infrastructures nécessaires, quand elles seront disponibles, combien coûtera le carburant, etc. » détaille Alex Champagne-Gélinas, directeur stratégique au développement chez InnovÉÉ. 

La revue littéraire, effectuée par l’Institut de recherche sur l’hydrogène de l’Université du Québec à Trois-Rivières, et les discussions avec les transporteurs ont permis de démontrer qu’il existe un potentiel pour le déploiement de cette technologie au Québec dans des contextes précis. Toutefois,  le manque de retours d’expériences et de visibilité demeure des enjeux majeurs qui ralentissent l’adoption de cette solution par les transporteurs.

Il y a aussi une méconnaissance de l’hydrogène et la façon dont cela pourrait s’intégrer dans l’industrie du transport par camions. « Il y a des craintes et des mythes entourant la sécurité. Des mythes sont à déconstruire. Ils veulent aussi des camions qui fonctionnent comme ceux qui sont opérés présentement. On a relevé des inquiétudes reliées à la performance et à la durabilité des véhicules. Les gens ne veulent pas avoir à faire des réparations après quelques mois. Il y a également des inquiétudes par rapport au volume et au poids, ainsi que pour le travail en environnement reculé, que l’on pense aux opérations minières ou forestières, par exemple », explique M. Champagne-Gélinas.

 « La batterie va jouer un rôle fondamental pour le transport lourd de marchandises et c’est là qu’il y a un trou de service. L’hydrogène vert pourrait être intéressant pour ce volet, poursuit le directeur stratégique au développement chez InnovÉÉ. Il y a aussi beaucoup de petites niches où l’utilisation de l’hydrogène pourrait être pertinente. Il reste cependant beaucoup de chemin à faire, car s’il y a des camions à hydrogène qui roulent dans le monde, beaucoup d’incertitude plane encore. »

Les coûts préoccupent les transporteurs

Le manque d’infrastructures de ravitaillement représente un autre frein ayant été identifié.

La question des coûts revient souvent dans les préoccupations des transporteurs, d’autant plus que le contexte actuel s’avère moins favorable à la prise de risques. 

« Il y a une volonté de la part des transporteurs de faire des efforts pour la décarbonation et la transition énergétique, mais en termes d’incitatif économique, c’est difficile de justifier ce transfert vers l’électrification, car il n’y a pas tant d’avantages plus importants au quotidien. Ils voient ça comme une perte nette. Il y a un travail à faire pour les soutenir et élaborer des modèles d’affaires qui fonctionnent », ajoute-t-il.

Catherine Morneau, vice-présidente exécutive et directrice générale du Groupe Morneau. (Photo Marie-Eve Alarie)

À l’heure actuelle, sur les 180 000 camions au Québec, on recense une centaine de camions électriques. Le Groupe Morneau est l’un des transporteurs à avoir un camion électrique dans sa flotte. « Le camion suscite de l’intérêt dans la compagnie. Tout le monde est intéressé à l’essayer, affirme Catherine Morneau, vice-présidente exécutive et directrice générale du Groupe Morneau. Notre gros casse-tête au quotidien est d’assurer la livraison rapidement. C’est un casse-tête incroyable pour essayer d’éviter le millage à vide. Si on veut continuer ce modèle d’affaires, la question d’autonomie et de ravitaillement est très importante. »

« Ce camion a une autonomie très courte. On ne peut pas l’utiliser en double utilisation le soir après qu’il ait sillonné les routes durant la journée, ajoute-t-elle. On est très intéressé de voir comment l’hydrogène pourrait contribuer à une meilleure autonomie des batteries. En ce moment, c’est difficile d’avoir un plan en transition énergétique. On y va par petits pas. Il y a encore beaucoup de questions sans réponse. Notre camion électrique est difficile à rentabiliser. Si on en a plus, est-ce que nos clients seront prêts à payer des frais accessoires pour la décarbonation? »

Des projets pilotes

L’étude révèle également que les compagnies de transport lourd aimeraient voir la mise en place de projets pilotes avant de se lancer. « Ça permettrait de voir un camion à hydrogène, pouvoir le tester, s’informer sur les problèmes rencontrés, observer ce qui peut se produire et dans quelles circonstances ça fonctionne bien ou moins bien, précise M. Champagne-Gélinas. Pour nous, ce genre de projet pilote serait une bonne base. »

L’étude suggère notamment la mise en place d’un système de location, rendant le camion à hydrogène financièrement plus accessible aux opérateurs avec un amortissement maîtrisé pour favoriser son adoption à plus large échelle.

La mise en place des normes par le gouvernement permettrait aussi de soutenir la transition vers une mobilité plus durable pour le transport lourd et de longue distance. »Il y a déjà plusieurs offres gouvernementales qui sont offertes pour la transition énergétique, mais elles répondent moins aux besoins de l’hydrogène. Il y a aussi un manque de prévisibilité dans le contexte où un plan d’électrification se planifie sur plusieurs années », mentionne Alex Champagne-Gélinas.

Chose certaine, ce n’est pas une transition à grande échelle qui se fera dans les prochaines années, quoique certains projets pilotes ont déjà été mis en branle, entre autres dans le Nord-du-Québec. M. Champagne-Gélinas ne s’attend pas à voir une majorité de camions à hydrogène sur les routes avant 2030 considérant qu’il n’y a pas d’offres du côté des fabricants pour le moment.

« Le gouvernement s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 37,5% d’ici 2030. C’est très ambitieux. En 2020, le transport représentait 44% des émissions totales, sans compter les polluants atmosphériques. Les camions lourds représentaient 18% de la consommation énergétique au Québec et 25% au Canada. Ça représente un fort potentiel de décarbonation et, en ce sens, l’hydrogène vert peut être une alternative intéressante à considérer », conclut  le professeur Bruno Pollet, codirecteur de l’Institut de recherche sur l’hydrogène de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Pour lire l’étude: https://propulsionquebec.com/wp-content/uploads/2023/11/PropulsionQc_Hydrogene-vert_VF.pdf