De la Palestine à la Mauricie
TÉMOIGNAGE. Palestinien d’origine, le docteur Ibrahim Renno est arrivé à Trois-Rivières en 1973, à l’âge de 27 ans. Après une longue carrière en médecine en Mauricie, il profite maintenant de sa retraite aux côtés de son épouse. C’est dans le confort de sa demeure qu’il nous a raconté son histoire.
M. Renno est né dans la ville de Haïfa, qui fait aujourd’hui partie du territoire israélien. À la fin des années 40, sa famille a été contrainte de fuir son foyer pour se réfugier au Liban.
«Mes parents m’ont amené dans leurs valises, comme je me plais toujours à dire. J’avais environ trois ans quand j’ai quitté la Palestine, raconte-t-il. Comme ma mère était une Libanaise d’origine, le premier réflexe de mes parents a été d’aller s’installer au Liban. À l’époque, ils avaient 8 enfants, dont moi. Ils ont eu deux autres enfants par la suite.»
Ibrahim Renno a vécu à Tripoli, au Liban, pendant environ 14 ans. Il est ensuite parti pour la France afin d’entreprendre des études universitaires en médecine. Il a habité la ville de Toulouse pendant sept ans.
«À mon arrivée, j’avais 18 ans, se souvient-il. Étudier la médecine au Liban n’était pas possible pour des raisons financières. Ça coûtait plus cher de faire ma médecine au Liban qu’en France parce que les universités du Liban étaient privées tandis que les universités françaises étaient publiques. De plus, les étudiants des anciennes colonies françaises, telles que le Liban, étaient considérés comme des étudiants français.»
Un premier contact avec le Canada
À la fin de ses études, deux choix s’offraient à lui : retourner au Liban pour travailler comme médecin généraliste ou rester en France pour se spécialiser. «Mais ça commençait à être très lourd pour moi financièrement. Mes parents ne pouvaient pas m’aider, alors j’ai commencé à me renseigner sur les autres options possibles.»
«On m’a dit que je pouvais immigrer au Canada pour finir mes études, poursuit ce dernier. Je suis donc arrivé au Canada, à Trois-Rivières, en 1973. J’étais résident en médecine à l’hôpital St-Joseph. Mon patron était le docteur René Boyer. C’était un homme extraordinaire.»
Par la suite, il a poursuivi sa spécialité en anesthésie dans les différents hôpitaux du Québec. Il a obtenu son diplôme en 1978. Il a travaillé pendant six ans à l’hôpital de Shawinigan. En 1985, il a été transféré au Centre hospitalier régional de Trois-Rivières où il a terminé sa carrière, en 2011.
Une famille tissée serrée
Pendant plusieurs années, Ibrahim Renno a aidé sa famille financièrement, tant ses parents que ses frères et sœurs.
«Les liens avec ma famille sont encore très serrés, dit-il fièrement. Après la mort de mes parents au Liban, mes frères et sœurs ont tous immigré en Australie, poussés fortement par la guerre civile au Liban. J’ai perdu des membres de ma famille, notamment à cause de la guerre. J’ai aidé mes frères et sœurs financièrement quand ils ont décidé d’immigrer en Australie. Je voulais les aider à s’installer là-bas.»
Après toutes ces années et les épreuves qu’ont surmontées les membres de sa famille, c’est le calme après la tempête. «Maintenant, je n’ai plus besoin de les aider financièrement parce qu’ils sont bien intégrés. On va les voir souvent et ils viennent aussi nous visiter», conclut le docteur Ibrahim Renno.
«On est tous des immigrants au Québec»
Ayant immigré au Canada en 1973, Ibrahim Renno est particulièrement touché par la crise des immigrants syriens. Il ne fait aucune distinction entre les réfugiés.
«La crise m’interpelle parce que nous sommes une société d’immigration et nous devons être très sensibles à cela, croit Ibrahim Renno. Nous devons les accueillir parce que c’est une richesse pour une société, cette diversité.»
«Une société, c’est comme une maison : elle a besoin d’aération. Si ça ne se fait pas, ça sent le moisi, ajoute M. Renno. L’aération d’une société, c’est l’apport des autres. On est tous des immigrants au Québec. Les seuls qui peuvent dire qu’ils ne sont pas des immigrants ici, ce sont les autochtones.»
Selon lui, les immigrants doivent s’intégrer à la société d’accueil tout en apportant leurs différences, de sorte à enrichir cette même société.
«Il y a une sensibilité exacerbée des Québécois face à l’immigration et c’est d’autant plus exacerbé que les Québécois ne font pas l’effort nécessaire pour intégrer ces gens-là et leur faire épouser leur cause. Pour réussir un projet national, quel qu’il soit, doit inclure tous les Québécois. Malheureusement, je ne vois pas ça.»
Il est d’avis que cette attitude mine la société. «Ce que je vois circuler sur Internet, c’est épouvantable, dit-il. Les gens disent que les immigrants veulent venir voler leur pays. C’est de la pure folie. Les réfugiés syriens ne demandent qu’à vivre en paix ici.»
Voile musulman
En ce qui concerne le port du voile musulman, M. Renno soulève une contradiction. «Les gens se cachent derrière l’égalité entre les hommes et les femmes, mais en quoi l’égalité est dérangée par un voile qu’une femme musulmane veut se mettre sur la tête? C’est une contradiction flagrante d’empêcher les femmes de se mettre un voile sur la tête. On part du principe d’égalité et on finit par traiter les femmes inégalement.»
«La liberté, c’est un tout et on doit le prendre comme tel, poursuit-il. On ne peut pas être libre à moitié, juste quand ça fait notre affaire. Je n’ai pas à dire à une femme comment elle doit s’habiller.»
Le médecin soutient que si une femme se sent réellement obligée de faire quelque chose ou de se vêtir d’une telle façon, cette dernière peut s’adresser aux autorités pour dénoncer la situation.