Cuisines sous pression

RESTAURATION. La pénurie de main-d’œuvre en cuisine qui touche la province se ressent-elle dans les restaurants d’ici? Plus que jamais, si l’on se fie aux propriétaires du coin, qui doivent constamment user de créativité pour maintenir un fragile équilibre en cuisine.

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Les restaurateurs de la région ont répondu à une série de questions de TC Media. Voici leurs réponses :

1. Ressentez-vous les effets de la pénurie de cuisiniers qui prévaut actuellement au Québec ?

José Pierre Durand (Poivre Noir) : Absolument ! Aujourd’hui, c’est devenu très difficile de trouver des cuisiniers qui détiennent leur diplôme, un critère très important en fine cuisine. Même en étant le propriétaire, je dois m’occuper autant de la cuisine, du traiteur, de la pâtisserie que du service. Nous n’avons pas le choix de mettre les bouchées doubles. Cela demande énormément de sacrifice.

Alain Pénot (Auberge du lac St-Pierre) : Oui, nous avons de plus en plus de difficultés à recruter des employés et surtout, à les garder en poste. La situation n’est pas nouvelle, ça fait trois ans que ça dure. C’est une problématique généralisée.

Francis Boisvert (Le Presbytère) : Actuellement, notre équipe est correcte, mais c’est limite. Si l’on pouvait avoir deux ou trois personnes de plus, ce serait encore mieux. Nous avons publié plusieurs annonces, mais on reçoit très peu d’appels.

2. Qu’est-ce qui cause, selon vous, cette pénurie ?

José Pierre Durand (Poivre Noir) : Il y a deux ou trois ans, il y avait trois classes de cuisine d’une vingtaine d’élèves au centre de formation Bel Avenir. Aujourd’hui, il y en a seulement une. Et à la fin de l’année, seulement deux ou trois étudiants poursuivent leur carrière dans le domaine. Il faut comprendre que c’est un métier très difficile, un peu ingrat même. On travaille de nombreuses heures. Ce n’est pas tout le monde qui peut gérer cette pression. Cela en décourage plusieurs de continuer.

Alain Pénot (Auberge du lac St-Pierre) : La plupart des jeunes veulent seulement travailler du lundi au vendredi. Ils ne veulent pas non plus avoir trop de responsabilités. En fait, la nouvelle génération de cuisiniers ne veut plus travailler aussi dur. L’industrie de la restauration est cependant un milieu très exigeant.

Francis Boisvert (Le Presbytère) : Je pense qu’on est présentement confronté à un choc des générations. Les cuisiniers dans la quarantaine, ça ne leur dérange pas de travailler les soirs et les fins de semaine. Ils ont acquis très tôt une certaine assiduité au travail. Chez les jeunes d’aujourd’hui, leur vie sociale passe avant tout. Ils n’entretiennent pas de sentiment d’appartenance envers leur emploi.

3. Avez-vous déjà eu à « sortir du Québec » pour recruter des cuisiniers ?

José Pierre Durand (Poivre Noir) : Je pense qu’on aura bientôt plus le choix d’aller engager des cuisiner de l’extérieur. Ils seraient logés, nourris et en échange, ils viendraient nous donner un coup de main en cuisine. Je ne le fais pas pour le moment, mais c’est une avenue que j’envisage.

Alain Pénot (Auberge du lac St-Pierre) : Honnêtement, j’ai moi-même déjà eu recours à des travailleurs étrangers. Ce n’est pas méchant, mais la formation en Europe est davantage accentuée que celle donnée au Québec.

4. Comment pourrait-on favoriser la rétention des cuisiniers ?

José Pierre Durand (Poivre Noir) : Tellement de choses pourraient être revues juste au niveau du salaire et du nombre d’heures. Cela pourrait être plus motivant pour les jeunes qui commencent dans le métier. De notre côté, dès que nous avons un jeune qui semble avoir la flamme, on tente de lui montrer le plus de choses possible afin de le garder.

Alain Pénot (Auberge du lac St-Pierre) : Le Québec aurait tout à gagner de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Les étudiants pourraient alterner entre l’école et l’apprentissage en restaurant, comme c’est le cas en Europe. Cela leur permettrait de découvrir la réalité du métier.

Francis Boisvert (Le Presbytère) : C’est une bonne question. On tente par tous les moyens de s’adapter à eux, mais il faut aussi qu’on trouve des incitatifs pour les accrocher. On envisage la possibilité d’offrir le programme du Sceau rouge. À l’achèvement de la formation d’apprenti, le jeune cuisinier pourrait recevoir une subvention de 1 000 $ du gouvernement fédéral. Cela pourrait être une solution stimulante.

5. Avez-vous déjà envisagé la possibilité de partager le pourboire entre les cuisiniers et les serveurs ?

José Pierre Durand (Poivre Noir) : La question monétaire n’est pas uniquement la solution, mais c’est certain que cela pourrait aider. On a d’ailleurs commencé à en parler.

Alain Pénot (Auberge du lac St-Pierre) : Il faut qu’on s’assoie bientôt pour en parler. Mais encore une fois, est-ce que cela sera suffisant pour garder nos jeunes cuisiniers ? Il faut d’abord parvenir à changer les mentalités. Un jeune employé m’a déjà dit qu’il souhaitait avoir moins d’heures pour faire du social. On s’efforce de s’adapter à leurs demandes, mais ce n’est pas ça la vraie vie.

Francis Boisvert (Le Presbytère) : Nous en avons déjà parlé, mais c’est au niveau de la faisabilité que ça bloque. Ça engendrerait beaucoup de gestion. Les serveurs et les cuisiniers n’ont pas les mêmes horaires, ce qui compliquerait la mise en place d’un tel système. Cela pourrait également créer du mécontentement chez les employés.