Comment a-t-on endoctriné les jeunes qui représentent l’État islamique?

ATTENTATS. Comment expliquer les attentats de Paris? Comment en est-on arrivé là? Comment certains jeunes issus des cités banlieusardes ont-ils cédé à l’intégrisme? Conférencier et enseignant en histoire et en science politique, Ismaïl Harakat répond à ces questions.

Il faut d’abord faire un retour dans le temps et remonter à l’époque qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. À ce moment, de nombreux pays d’Europe, dont la France, entraient dans une phase de reconstruction. Pour ce faire, ces pays ont accueilli des immigrants provenant notamment de l’Algérie.

«Jusqu’au début des années 80, le problème ne se posait pas du tout. Le déclin s’est opéré à partir du milieu des années 80. La France, comme plusieurs autres pays européens, est entrée dans une phase de déclin institutionnel, de crise économique», explique M. Harakat

«Des cités banlieusardes ont commencé à fleurir en Europe et surtout en France, poursuit-il. Il fallait gérer un problème de taille: l’intégration des immigrants ne se déroulait pas bien. Les partis qui se sont succédé au pouvoir ne se sont pas donné la peine de traiter le problème en profondeur. La question des banlieues remplies d’immigrants a commencé à prendre de l’ampleur pratiquement dans l’indifférence générale. On a laissé gangréner la situation des banlieues.»

Cela a donc mené à une forme de stigmatisation et la cohabitation devenait de plus en plus difficile entre les Français de souche et les immigrants. «C’est là que le Front National a commencé à prendre de l’ampleur et à asseoir ses bases, croit M. Harakat. Ce sont les gens de la troisième génération d’immigrants qui étaient en plein dans la crise.»

Obscurantisme et endoctrinement

Alors comment expliquer ce penchant vers l’obscurantisme? Comment ces jeunes embrassent-ils ce courant?

«Il y a aujourd’hui une certaine facilité à recruter dans les banlieues européennes, davantage que dans les pays arabes, indique le professeur. Ces jeunes n’ont jamais été en contact avec le monde arabe ni avec le Coran. Lorsqu’ils ont commencé à être en contact avec les mosquées, on leur a livré une certaine vision de l’islam. On leur a fait avaler toutes sortes de choses parce que ces jeunes ne comprenaient ni l’arabe, ni le Coran.»

«Ils les ont endoctrinés à leur manière parce qu’ils avaient devant eux une proie facile, renchérit M. Harakat. Ces jeunes étaient en perte de repères et ils étaient victimes d’une forme de discrimination. Ce sont des jeunes qui ne sont pas tout à fait Français ni tout à fait Algériens ou Tunisien. Ils ne sont pas perçus comme des jeunes d’un pays à part entière.»

Avec la montée d’Internet et des nouvelles technologies, nous sommes passés d’un stade où les mosquées étaient indispensables à un stade où le contact est devenu virtuel. «Le contact entre le jeune et une certaine forme de religion est direct, affirme l’enseignant. Aujourd’hui, le problème se pose au niveau du contrôle du matériel virtuel mis à la disposition des jeunes.»

L’ennemi #1 de l’État islamique

Qui est le véritable ennemi de l’État islamique? «Ce n’est pas l’Occident. C’est l’Iran et à travers l’Iran, le chiisme. Nous sommes plongés au cœur d’une guerre confessionnelle. Pour les musulmans sunnites, le chiisme est une sorte de secte sortie des rangs. Les sunnites représentent le courant originel, le courant de base de l’islam. Les chiites sont considérés comme des irradiés à abattre par l’État islamique.»

La différence entre le Canada et la France

Quelle est la différence majeure entre la France et le Canada? Selon M. Harakat, la différence réside dans le fait que le Canada a opté pour une immigration choisie. «C’est un aspect fondamental qui permet de filtrer la catégorie d’immigrants dont le pays a besoin, dit-il. Jusqu’à tout récemment, la France ne s’était pas dotée d’un véritable système d’immigration choisie.»

La France avait-elle raison de déclarer la guerre? «Oui, mais il faut aussi qu’elle se prémunisse contre les risques de récidives. Comment? Il s’agit d’asseoir les bases d’une société plus juste. On ne peut pas éliminer l’État islamique sans engager des forces terrestres. On ne peut pas prétendre en finir avec l’État islamique en se contentant de bombarder ses infrastructures. C’est un leurre. Il faut une action commune des États-Unis, de la Russie, de la France et d’autres pays. Il est clair qu’une action coordonnée réduirait la durée de vie de l’État islamique», conclut le professeur.