Comment la Ville de Trois-Rivières fait son budget?

Le budget 2023 de la Ville de Trois-Rivières a été adopté le 16 décembre. Pour équilibrer le budget, une hausse de 7,17% du compte de taxes des citoyens est nécessaire. Comment la Ville en est arrivée à déterminer cette augmentation du compte de taxes? Comment établit-elle son budget d’opération? Est-ce que l’administration a été surprise par l’importante hausse de l’inflation? L’Hebdo Journal s’est intéressé au processus de conception du budget municipal.

Un exercice sur plusieurs mois

Ils sont nombreux à travailler dans l’ombre sur cet exercice annuel mené par l’ensemble des directeurs de la Ville. Ça débute dès le 30 avril avec un premier rapport sur le budget de l’année en cours, ce qui permet de dresser un premier portrait des dépenses et d’évaluer l’écart entre les prévisions et la réalité.

Un prébudget est préparé en juin pour voir la tendance sur trois ans. « On cible les grands éléments qui pourraient avoir un impact sur les trois années suivantes afin de dégager la tendance. C’est aussi à ce moment qu’on fait la projection de la masse salariale et des augmentations prévues selon les conventions collectives », précise Cindy Savard-Tremblay, coordonnatrice aux finances.

D’après les informations contenues dans le prébudget et les tendances identifiées, le Cabinet du maire émet ses directives avant que le tout soit renvoyé dans les directions pour que les gens travaillent sur le document durant l’été. Sur la centaine d’étapes d’élaboration du budget, au moins le quart concerne les élus, en particulier le comité exécutif. Les élus sont invités à intervenir sur les orientations au fil de l’année.

Une présentation du document de travail est faite au comité du budget par les directeurs en septembre, ce qui permet d’informer la direction générale, le Cabinet du maire et le conseil exécutif de l’avancement des travaux. Le dépôt du second rapport budgétaire à la fin septembre permet d’anticiper les excédents et écarts, ainsi que de corriger des hypothèses pour le budget à venir. Au lac-à-l’épaule du conseil municipal en octobre, une nouvelle présentation est faite aux conseillers, ce qui permet de préciser des orientations.

Une « tempête parfaite » en 2023

La direction des finances voyait déjà, en février dernier, que le budget 2023 serait difficile en raison de l’inflation, mais aussi des bouleversements dans les chaînes d’approvisionnement mondiales qui ont fait exploser les coûts des matières premières et des produits secondaires.

« Dans un contexte comme celui-là, c’est certain qu’on devait adresser la problématique avant le mois de juin. En ce moment, une inflation d’environ 6,5% est projetée pour le Québec. On savait aussi qu’il y aurait le début de la collecte des matières putrescibles en 2023. Juste ça, en février, c’était un élément plus important que l’inflation. On savait également que le service de dette serait important en raison de l’augmentation des taux d’intérêt. On s’attend à ce que ça monte, tout comme le taux d’intérêt », indique Stéphane Blouin, chef du service des finances et assistant trésorier.

Le conseil municipal avait aussi émis la volonté de maintenir les services de la Société de transport de Trois-Rivières pour des questions environnementales, entre autres. « Ça a mis une pression plus importante sur le budget, en plus du prix de l’essence qui affecte beaucoup les opérations », ajoute-t-il. Le renouvellement de certains contrats de déneigement allait aussi peser dans la balance. Dans certaines zones, on prévoyait des augmentations de l’ordre de 90 à 95% des coûts.

Si la Ville n’avait qu’à suivre l’inflation, la gestion serait plus simple. Les problèmes surviennent quand les dépenses augmentent plus que l’inflation. « Avec une inflation de 6,5%, l’enjeu, c’est de baisser le taux de taxe en deçà. C’est un autre défi », note M. Blouin.

Durant la pandémie, Trois-Rivières a pu compter sur une augmentation importante des droits de mutation en raison de la bulle immobilière. « C’est venu créer un effet artificiel sur les revenus des villes. Il s’est vendu plus de maisons pendant cette période, mais c’est une bulle qui tend à se résorber. Cette année, il y a cet effet qui vient se réguler et qui, du même coup, vient exacerber la tempête parfaite que l’on vit », fait remarquer François Vaillancourt, directeur général de la Ville de Trois-Rivières.

La taxation, dernière source de revenus considérée

Rapidement, il est demandé aux différentes directions de restreindre des dépenses. La direction des finances évalue ensuite si de nouvelles sources de revenus sont attendues. Il peut s’agir de montants de péréquation, le taux de croissance du 1% de la TVQ, des revenus d’intérêts, des constats d’infraction ou encore des droits de mutation (taxe de bienvenue). Toutes ces sommes anticipées contribuent à payer des dépenses additionnelles.

« La taxation est notre dernière source de revenus dans le processus, mentionne Nathalie Cournoyer, directrice des finances de la Ville de Trois-Rivières. On établit d’abord nos autres sources de revenus. Une fois que c’est tait, on s’attarde à différentes tarifications, comme l’eau et les égouts. La taxe foncière assume le manque entre le total des dépenses et les autres sources de revenus. Ce sont des données qu’on reçoit parfois très tard. Disons que lorsqu’on a une bonne nouvelle en ce qui concerne la péréquation, ça vient enlever de la pression sur la taxe foncière. »

L’apport de nouveaux contribuables est aussi anticipé, dont les permis de construction, ce qui vient faire baisser la pression sur les contribuables actuels. Pour obtenir l’estimation la plus juste possible, l’équipe des finances analyse les tendances du marché, se questionne entre eux, se défie sur des éléments et mise sur l’expérience des employés en place.

Une fois le budget adopté, les enveloppes sont attribuées à des postes budgétaires. Les décisions plus précises sur la répartition des fonds sont prises par les élus municipaux dans les différents comités de la Ville. « Quand on s’adresse à une direction concernant un alignement pour le budget, on l’associe à des opérations. Ce n’est pas définitif. Ça émane de recommandations des comités », soutient le maire.

Un modèle à changer, plaident les municipalités

Mais si le calcul de la taxe foncière est la dernière étape du processus, cette taxe est primordiale pour assurer l’équilibre budgétaire puisque les revenus provenant des taxes représentent plus de 75% des revenus de la Ville. Et c’est problématique pour les municipalités qui demandent une aide plus importante du gouvernement provincial, encore plus dans le contexte où les villes doivent s’adapter aux changements climatiques.

« C’est urgent que le modèle change parce que les retombées des impacts des changements climatiques, on les a directement. Si on veut s’adapter, il faut faire des travaux importants, comme séparer les égouts pluviaux et sanitaires, d’autant plus avec les pluies de plus en plus diluviennes que l’on constate, mais ça coûte beaucoup plus cher qu’il y a 25 ans, plaide le maire Jean Lamarche. Les villes doivent aussi s’occuper d’enjeux sociaux importants. On n’a qu’à penser à l’itinérance. Mais les moyens, c’est le gouvernement provincial qui va les avoir. »

Et les surplus dans tout ça?

Chaque année, la Ville parvient à dégager des excédents budgétaires. Dans un contexte de saine gestion, on vise un excédent de fonctionnements d’environ 5%. Ce montant indique à l’administration municipale si elle doit davantage se serrer la ceinture pour le reste de l’année ou s’il y a un petit coussin confortable pour éponger les imprévus. Par contre, ces excédents ne sont pas planifiés dans le budget.

« Même si la situation est plus difficile cette année, il y a des lignes que je ne voulais pas traverser, comme prévoir les excédents à mettre au budget. Ce n’était pas une option, affirme le maire. À la base, une ville ne peut pas faire de déficit. Il faut se fixer une marge de manœuvre qui est réaliste. La nôtre, c’est environ 5%. Ça comprend ce qu’on contrôle et ce qu’on ne contrôle pas. Dans ce qu’on ne contrôle pas, il peut s’agir d’une transaction importante ou encore des droits de mutation plus élevés que prévu. C’est ce qui peut expliquer des années où les excédents sont de l’ordre de 10 ou 15 M$. Mais par rapport au budget total, c’est tout de même entre zéro et 5%. »

Toutefois, la ligne est mince entre prévoir ce coussin financier sans trop taxer les Trifluviens.

« Avec les changements climatiques, les événements inopinés sont de plus en plus fréquents. Ça force la Ville à avoir des réserves que tu peux affecter au besoin. Notre équipe en place a un œil de lynx et leurs estimations s’avèrent extrêmement précises », renchérit le directeur général.

« Quand on produit le budget, on pense sincèrement arriver à zéro à la fin. Si on est sous les 2% d’excédent en septembre, on commence à être nerveux, mai son ne veut pas taxer inutilement au cas où on vivrait l’inondation du siècle », note Stéphane Blouin.

« Les excédents de fin d’année sont affectés pour gérer le risque. On ne planifie pas des situations extraordinaires, comme des précipitations de neige extraordinaires. Les surplus sont utilisés pour gérer le risque dans le budget opérationnel », poursuit Cindy Savard-Tremblay.

La gestion des excédents financiers est davantage balisée depuis quelques années, de sorte que l’administration sait précisément quel pourcentage sera attribué au service de la dette, au fonds du logement social et abordable, etc.

Ce balisage fait aussi en sorte qu’il serait difficile d’aller piger dans les excédents pour baisser le compte de taxes. La Ville utilise les excédents le moins possible pour financer des dépenses récurrentes puisque cela pourrait être risqué à long terme ou dans les années où ces surplus ne suffiraient plus à gérer les imprévus.

Un processus plus ouvert dès l’an prochain

Dans le cadre des travaux visant à améliorer la transparence de l’appareil municipal, la Ville souhaite tenir une journée d’information pour la population dans le cadre de l’élaboration du prochain Plan triennal d’immobilisations. Cela permettrait d’expliquer les grands projets prévus en 2024, 2025 et 2026.

Le directeur général veut aussi organiser des journées de sensibilisation sur l’exercice budgétaire. « Il faut démocratiser la compréhension d’un exercice budgétaire complexe et on veut aller dans cette voie pour essayer d’être le plus transparent possible », mentionne M. Vaillancourt.