Christophe Savary: chasseur d’héritiers

TROIS-RIVIÈRES. Le téléphone sonne, c’est Christophe Savary. Au bout du fil, quelque 200 000$ vous attendent, un héritage d’une tante éloignée ou d’un vieil ami oublié. Et si ça vous arrivait, comment réagiriez-vous ? 

Christophe Savary est généalogiste successoral depuis 25 ans. Ou, dans le jargon populaire, chasseur d’héritiers. Les petites fortunes non réclamées, c’est son truc. À notre passage dans l’édifice patrimonial de la rue Bonaventure qui abrite ses bureaux à Trois-Rivières, un héritage de 900 000 euros dormait paisiblement sur sa table de travail.

Lorsqu’un notaire se retrouve devant un butin, sans savoir à qui le partager, c’est lui qui est appelé à la rescousse. Sa mission? Retrouver les héritiers d’une personne décédée qui n’a laissé derrière elle aucun proche identifiable ou de testament.

Ils ne sont qu’une demi-douzaine à pratiquer ce métier en Amérique du Nord. Au Québec, seulement deux sont officiellement reconnus. De quoi les tenir bien occupés.

«Je traite 200 dossiers… Chaque année», a indiqué celui qui a étudié en droit avant de se retrouver les deux pieds dans les secrets de famille des autres, au risque de réanimer de douloureux souvenirs.

«Et plusieurs peuvent s’étirer sur plus de dix ans avant d’en arriver à une conclusion», a-t-il ajouté. Le moindre indice suffit pour rouvrir une enquête poussiéreuse.  

Moitié archiviste…

Tout d’abord, l’investigation commence en épluchant les actes de naissance et en passant au peigne fin les archives pour recoller les bribes de vie du défunt jusqu’à former un arbre généalogique.

Lentement, le chasseur remonte le fil des événements jusqu’aux légataires. Le Code civil permet de remonter jusqu’au huitième degré de parenté. Ensuite, le magot aboutit dans les coffres de Revenu Québec. «Parfois, ils peuvent être une cinquantaine, voire une centaine d’héritiers», a raconté M. Savary.  

La tâche peut donc se révéler bien difficile. Les familles éclatées, parfois expatriées et d’autres fois –souvent– divorcées, des héritiers perdus de vue dans une embrouille lointaine et même une fratrie cachée… Autant de situations qui sont devenues choses courantes aujourd’hui et qui brouillent les pistes.

L’enquête revient parfois à chercher une aiguille dans une botte de foin. «C’est un travail fastidieux qui demande beaucoup de patience, mais c’est surtout passionnant», a lancé M. Savary, sourire en coin.

Ses recherches peuvent aboutir loin, très loin, à l’étranger. L’enquêteur vient d’ailleurs de mettre la main sur un groupe dispersé dans pas moins de neuf pays, dont la France, la Grèce et l’Inde. «Il y a eu de nombreuses vagues d’immigration dans la province. Résultat: on ne sait jamais jusqu’où un dossier va nous mener», a-t-il renchéri.

Moitié Sherlock Holmes

«Ensuite, le travail de détective commence», a expliqué Christophe Savary en enfilant son chapeau de Sherlock Holmes. Il doit souvent user des mêmes méthodes qu’un détective privé: enquêtes sur le voisinage, rencontres avec les voisins et filatures, tous les moyens sont bons pour localiser les héritiers.

Aujourd’hui, avec internet, c’est facile? Pas vraiment. L’enquêteur doit lutter contre les escrocs et autres arnaqueurs qui se cachent derrière les «spams». «Les gens reçoivent tellement de courriels leur mentionnant, par exemple, qu’ils ont hérité de 40 millions de dollars d’un cousin éloigné décédé dans un tsunami qu’ils ne nous répondent pas. Ils sont devenus méfiants», a-t-il révélé.

Il n’a d’autre choix que de sillonner la planète à la rencontre d’héritiers qui s’ignorent. Après des semaines, voire des mois d’investigations, les héritiers sont enfin identifiés. C’est le moment tant attendu de découvrir le montant de l’héritage. Et, en règle générale, les successions ne sont pas énormes.

«La première chose que je leur dis, c’est de ne pas devenir fous. Vous n’allez pas changer de vie. Quelquefois, ils ont juste de quoi se payer un repas au restaurant», a souligné le généalogiste.

Ce n’est qu’une fois le contrat signé que Christophe Savary sera rémunéré à partir d’un pourcentage prélevé à même l’héritage. Le jeu est donc risqué. Si la succession comporte des dettes ou si l’enquête ne mène nulle part, c’est le généalogiste qui devra assumer tous les frais de recherches. «C’est frustrant, surtout si on s’est monté une belle facture», a-t-il confié. «Après deux ou trois jours, on passe à autre chose.»

Secrets de famille

À la chasse aux héritiers, les dossiers se suivent, mais ne se ressemblent pas. «C’est ça qui est surprenant dans ce métier», a déclaré le chasseur d’héritiers. Les scénarios les plus fous côtoient les histoires touchantes.

Par exemple, ce réfugié de la Deuxième Guerre mondiale ayant perdu tout contact avec sa famille. Cette mère qui avait abandonné son enfant sur le perron de l’église. Ou encore cet immigré qui avait laissé derrière lui une femme et un fils pour refaire sa vie au Canada. «Au final, ils ont hérité d’un demi-frère», s’est rappelé M. Savary.

L’argent ne vient cependant pas tout régler, au contraire. Souvent, une fois que l’héritage entre en jeu, c’est le commencement des chicanes. «C’est triste, mais je me demande si ça ne brise pas plus de gens que ça n’en rend heureux. Bien sûr, ça dépend du montant, mais il y a toujours quelqu’un qui garde une petite crotte sur le cœur», a-t-il avancé. 

Au-delà des histoires d’argent, son quotidien est une immersion éprouvante dans les secrets de famille des autres. «Les gens me disent souvent: tu en sais plus sur ma famille que moi». Ils n’ont pas tort. «Aujourd’hui, nous avons tous les moyens pour rester en contact. Malheureusement, on dirait qu’on communique avec tout le monde sauf avec notre famille», a-t-il tristement constaté.

Bien sûr, de belles histoires, il y en a aussi. Comme ces deux sœurs séparées à un très jeune âge et qui se sont retrouvées des décennies plus tard. «Au final, elles ont refusé l’argent. Leur héritage, c’était d’avoir renoué contact».