Vivre avec le sentiment que la vie nous abandonne

TÉMOIGNAGE. Et si votre propre vie vous échappait du jour au lendemain. La vie est un long parcours d’apprentissage, jour après jour. Puis un diagnostic cruel vous apprend que dorénavant, vous allez désapprendre vos acquis. Julianne, âgée dans la fin cinquantaine, est atteinte de la démence fronto-temporale, maladie apparentée à celle de l’Alzheimer.

Julianne a accepté de témoigner sous un nom fictif.

«Je suis une fille très intelligente, organisée et excellente en gestion. J’ai terminé mon baccalauréat le jour de mes 21 ans. J’ai eu des enfants dont je me suis toujours occupé. Maintenant, ce sont mes enfants qui veulent s’occuper de moi, mais ce n’est pas ma vie ça! Mon mari est conscient que la fille qu’il a mariée n’existe plus vraiment. Le plus difficile, c’est le regard des autres qui changent», lance d’elle d’entrée de jeu.

«Quand tu l’apprends, tu souhaites qu’ils se trompent et tu ne veux pas y croire. Je déteste d’apercevoir que je suis de plus en plus perdue. Mais je n’y peux rien! S’il fallait que je sois fâché du matin au soir, ça ne changerait rien à ma situation. Je suis malade, je suis malade!»

Julianne a reçu un diagnostic de la maladie de la démence fronto-temporale il y a tout près d’un an. Il s’agit d’une maladie apparentée à celle de l’Alzheimer.

«J’avais un emploi et je commençais à faire des erreurs. Le patron s’en était rendu compte. Une fois rentrée à la maison, mon mari et les enfants m’ont avoué qu’ils avaient remarqué du changement depuis un an. J’ai appelé ma fille et elle m’a confirmé que les trois enfants avaient remarqué, finalement…»

«Je ne m’en rendais pas compte et ma fille me conseillait d’aller voir un médecin. Je ne voulais pas l’entendre, évidemment. Après consultation, on m’a annoncé ma maladie. Au-devant de mon cerveau, les cellules meurent alors ça agit sur la mémoire, la perception et la vision, entre autres. J’ai vu les images du scan! On voit des trous dans le cerveau, qui eux se remplissent d’eau, malheureusement.»

Aucun médicament ne peut guérir l’Alzheimer et ses maladies apparentées. Ils ne peuvent que retarder l’évolution de la maladie…

Des deuils quotidiens

De son propre aveu, Julianne trouve difficile de subir des deuils jour après jour.

«J’étais bonne en peinture et je jouais du piano tous les jours. Maintenant, j’essaye et j’en suis presque incapable. Je ne suis même plus capable de tricoter. Je vais perdre mon permis de conduire, donc une partie de ma liberté. Puis une des choses les plus difficiles, c’est de se faire dire qu’on est malade ou perdue. On le sait qu’on vit avec la maladie alors ne le répétez pas à la personne sans arrêt. C’est dur à entendre!», confie-t-elle.

Culpabilité

Dépendamment des personnes, le degré d’acceptation varie, mais la maladie peut entraîner un sentiment de culpabilité.

«Il y a une période où j’étais même suicidaire. Mais ma nouvelle gériatre veut s’arranger pour que je me sente mieux. J’ai l’impression d’être en enfer à temps plein et ce n’est pas une vie pour moi. Ma vie actuelle n’a rien à avoir avec mon ancienne vie. Je suis toujours perdue et j’ai des projets que je ne peux plus faire. Mais bon, je dois rester positive et j’ai encore des plaisirs quotidiens. Aller magasiner me fait un grand bien (rires). Je reste positive parce que j’ai toujours été une fonceuse.»

«Il faut continuer de combattre les préjugés sur cette maladie. À tort, certains ont tendance à croire que les personnes n’ont pas conscience de ce que la maladie leur fait vivre. Quand elles oublient des choses, quand elles vivent une situation de deuil, quand on les confronte à leurs difficultés, les personnes s’en rendent compte. Il faut savoir que malgré les pertes, les personnes ont encore plein de possibilités et qu’un accompagnement misant sur leurs forces, leur permet de se sentir encore utile et de mieux vivre leur quotidien», ajoute Charlotte Berjon, intervenante à la Maison Carpe Diem. Bénévolat

Depuis quelques années, Julianne redonne de son précieux à temps à société.

«J’aime faire du bénévolat! J’ai l’impression de travailler et de me rendre utile aux autres. J’ai toujours fait du bénévolat. J’en fais à Carpe Diem, au CSSS et j’ai donné mon nom à Moisson Mauricie. Ça te fait oublier la maladie et je rencontre des gens formidables», conclut-elle.

La Maison Carpe Diem de Trois-Rivières organise un colloque Québec-France le 12 février afin de changer le regard des gens sur les personnes malades. Pourquoi et comment accompagner? Il aura lieu à l’Hôtel Delta de 9h à 17h.