108 ans de souvenirs

Sœur Béatrice n’a pratiquement pas de rides. Elle se déplace encore à l’aide d’une marchette, elle se dit bénie d’avoir encore toute sa tête et rit de bon cœur en racontant quelques-uns de ses souvenirs, parfois très lointains…parce que sœur Béatrice a 108 ans.

C’est surprenant de l’entre dire: «J’ai fait ma profession religieuse en 1924».

1924… Marlon Brando et Charles Aznavour naissaient en 1924!

Née en 1905, sœur Béatrice a enseigné pendant 48 ans («Je voulais atteindre 50 ans. Ça ne s’était jamais vu d’enseigner durant 50 ans…et je ne pense pas que ça arrivera de nos jours!») avant de travailler durant 22 ans comme secrétaire de paroisse.

«Je pense que j’ai été une Fille de Jésus avant même de l’être officiellement. Je suis allée en pension au convent vers l’âge de sept ou huit ans, puis au noviciat», indique-t-elle.

Elle est arrivée chez les Filles de Jésus à Trois-Rivières il y a cinq ans, la tête remplie de nombreux souvenirs. En voici quelques-uns.

Grippe espagnole

En 1918, la grippe espagnole fait des ravages au Québec et à travers le monde. Au total, 100 millions de personnes en sont mortes.

Mais sœur Béatrice Naud, atteinte de la grippe espagnole étant enfant, y a survécu.

«On revenait rarement de la grippe espagnole. J’étais pensionnaire à cette époque. Je me souviens qu’une sœur avait mis ma robe au pied de mon lit, un soir, pour qu’on m’ensevelisse dans cette robe. J’étais supposée mourir», raconte-t-elle.

Comme la lucarne de sa chambre donnait une vue directe sur le perron de l’église, en contrebas, elle y voyait défiler les cercueils.

«Quand on était atteint de la grippe espagnole ou qu’on en mourait, il n’était pas question d’entrer dans l’église afin de ne pas la contaminer. Les messes avaient lieu des semaines plus tard. Alors les cercueils étaient laissés sur le perron de l’église. On entendait sonner le glas tous les jours», ajoute sœur Béatrice.

Un jour, c’est le cercueil de sa tante qu’elle y a aperçu.

Actrice

Alors toute jeune, la petite Béatrice s’est fait demander par sa grand-mère ce qu’elle voulait faire dans la vie.

«Je lui ai répondu du tac au tac que je voulais aller à Montréal pour devenir actrice! On avait fait une petite scénette au pensionnat à Noël et j’avais bien aimé ça. Il n’y avait pas de télévision dans ce temps-là et je ne sais pas où j’avais pris ça qu’il fallait absolument aller à Montréal pour être actrice! J’ai participé à d’autres petites pièces de théâtre par après et il fallait toujours que ça soit bien!» raconte-t-elle en riant.

Cette passionnée des arts a également été maîtresse de chorale et professeure de piano.

Germaine Bouchard

Sœur Béatrice en a vu passer des élèves dans ses classes en 48 ans d’enseignement.

«Je n’ai pas la mémoire des visages ni des noms, mais il y en a un qui m’est resté gravé dans la mémoire. C’était lors de ma première obédience au Témiscouata. Il y avait plusieurs notables dans ma classe: la fille du maire, la fille du député et la fille du docteur. J’ai enseigné à plusieurs Bouchard, dont Germaine Bouchard, une petite fille rieuse et au visage rougeaud! Son visage est gravé dans mes souvenirs.»

«Lorsque Mgr Luc Bouchard est venu nous rencontrer pour se présenter, j’ai eu l’audace de lui demander s’il y avait dans sa famille une certaine Germaine Bouchard, ajoute timidement sœur Béatrice. Il a réfléchi avant de répondre: «Je ne suis pas certain, mais je pense que la mère de ma grand-mère s’appelait ainsi».»

Dans la nécrologie!

Quelle surprise a eue sœur Béatrice quand, il y a environ deux ans, elle a aperçu son visage dans la nécrologie d’un journal!

«C’était une autre personne et toute la description ne me concernait pas…mais c’était ma photo! Je me demande encore ce que je faisais là», souligne-t-elle.

115 ans

Le temps peut sembler long dans une chambre d’infirmerie chez les Filles de Jésus, mais sœur Béatrice trouve des moyens pour s’occuper. Ses préférés: le tricot, la lecture et la prière.

«C’est sûr que je ne peux plus être à genoux pour laver les planchers!» souligne-t-elle en riant.

La centenaire espère évidemment vivre quelques années de plus, autant que le Seigneur le voudra bien, quoiqu’au fond d’elle-même, elle souhaite célébrer ses 115 ans dans quelques années!

«J’ai la chance de pouvoir encore raisonner et je n’ai eu qu’à subir une opération aux genoux pour pouvoir continuer à marcher. Je vis dans la sainte paix et Dieu me la laisse, la paix», conclut sœur Béatrice en partageant le refrain de cette chanson qui la suit depuis son enfance: Ah qu’il est bon, qu’il est bon le bon Dieu